Sicario

de Denis Villeneuve, 2015, ****

Au cours d’une opé­ra­tion de force contre des contre­ban­diers en ban­lieue d’El Paso, une équipe de flics amé­ri­cains voit la mai­son leur explo­ser à la gueule : elle a été spé­cia­le­ment pié­gée pour leur visite. Blessée légè­re­ment, Kate, fli­quette tren­te­naire divor­cée et carac­té­rielle qui « abat des portes depuis son pre­mier jour », se voit pro­po­ser de rejoindre une « task force » visant à foutre la merde à Ciudad Juárez. L’objectif : débus­quer le boss local, le for­cer à bou­ger et le chop­per à ce moment-là. Le pro­blème : Kate a ten­dance à tout faire dans les règles, ce qui n’est pas tou­jours le cas de Matt, qui dirige la task force avec des méthodes plus proches de la CIA que de la police, ni d’Alejandro, un ancien pro­cu­reur mexi­cain réfu­gié aux États-Unis on ne sait trop pourquoi…

Villeneuve sait faire du thril­ler sor­dide, il l’a mon­tré avec Prisoners. Il sait créer des ambiances lourdes et il sait fil­mer des plans trash qui font mal là où il faut. Et il se trouve que ce sont exac­te­ment les qua­li­tés qui per­mettent de faire un bon polar mâti­né de western.

Tu crois que t'as mal ? Attends qu'on ait fini l'interrogatoire, même la maquilleuse te reconnaîtra pas. photo StudioCanal
Tu crois que t’as mal ? Attends qu’on ait fini l’in­ter­ro­ga­toire, même la maquilleuse te recon­naî­tra pas. pho­to StudioCanal

Parfaitement maî­tri­sé, Sicario pro­gresse donc impla­ca­ble­ment, avec un rythme, une ambiance, un scé­na­rio qui n’hé­site pas à pau­mer un peu le spec­ta­teur à l’oc­ca­sion — on n’en sait pas plus que Kate, qui est tota­le­ment bala­dée jus­qu’au moment où elle apprend la vraie rai­son de sa pré­sence — et une logique irré­pro­chable. On peut dou­ter du réa­lisme de cer­tains pas­sages, mais d’autres sont tirés de la vraie vie (les corps démem­brés expo­sés à la vue de tous sont un grand clas­sique des car­tels) et le mélange fonc­tionne par­fai­te­ment. Les acteurs sont évi­dem­ment impec­cables : Villeneuve est un bon direc­teur, Blunt com­mence à connaître son bou­lot, et del Toro et Brolin n’ont plus rien à prou­ver depuis des lustres. Au pas­sage, Emily Blunt en gar­çon man­qué, anti-gla­mour au pos­sible, c’est assez réus­si. Quant aux aspects tech­niques, outre le mon­tage de Joe Walker (pas le pilote de X‑15, non, le mon­teur de Shame), sobre et effi­cace, on note­ra sur­tout le bou­lot du direc­teur de la pho­to­gra­phie, un cer­tain Roger Deakins qui a juste fil­mé quelques petits trucs sans inté­rêt comme Prisoners, Skyfall, True grit, No coun­try for old men, Jarhead et autres, et qui four­nit quelques plans abso­lu­ment superbes.

On n'est pas flics. Soldats ? Non plus. Barbouzes ? Pas vraiment. On est… Consultants, tiens. Voilà, consultants. photo StudioCanal
On n’est pas flics. Soldats ? Non plus. Barbouzes ? Pas vrai­ment. On est… Consultants, tiens. Voilà, consul­tants. pho­to StudioCanal

Après, on peut repro­cher au scé­na­rio un cer­tain jus­qu’au-bou­tisme. Si Kate est cen­sée avoir des états d’âme, ceux-ci res­tent sage­ment ran­gés près de la sur­face et, fina­le­ment, le film jus­ti­fie sans excès de scru­pules les méthodes expé­di­tives de ses per­son­nages. Sur ce plan, on est loin de l’am­bi­guï­té et du para­doxe per­ma­nents de Prisoners : dans Sicario, tirer le pre­mier n’est pas vrai­ment un pro­blème, même dans le dos. L’action de la CIA dans le tra­fic de drogue est éga­le­ment plu­tôt vue comme un phé­no­mène assez natu­rel : tant qu’il y a des dro­gués, il y a du tra­fic, et si la CIA ne contrôle pas le tra­fic pour main­te­nir l’ordre, alors on a le tra­fic et le bor­del. C’est le côté wes­tern du film : on fonce, on tire dans le tas, et les gen­tils, soyez gen­tils et res­tez derrière.

Mais cela reste un très bon film de genre, entraî­nant et réus­si, qui ravi­ra à coup sûr les ama­teurs de thril­lers et de polars.