歼十出击 Sky fighters
|fascinant enchaînement d’images de Haiqiang Ning, 2011
Alors, il paraît que c’est « Top gun, version chinoise ».
Okay.
Je pensais pas un jour trouver une comparaison insultante pour Top gun.
Sans vouloir déflorer trop vite le sujet, disons que la seule raison pour laquelle je suis resté là devant pendant la totalité de ses quatre-vingt-quatorze minutes, c’est la fascination. Vous savez, celle qui vous saisit quand vous voyez un accident se produire et que vous n’arrivez pas à détourner le regard. Quand vous croisez un bouledogue asthmatique enrhumé et que vos yeux restent figés sur les glaires dégoulinantes qui lui coulent par les narines à chaque éternuement. Quand sur l’écran de votre téléviseur apparaît la tronche d’Éric Zemmour et que vos doigts s’avèrent incapables d’atteindre la télécommande pour couper cette merde.
Puisqu’il paraît que c’est un équivalent chinois de Top gun, comparons donc.
Disons que c’est un peu ce que serait Top gun avec des J‑10 à la place du Tomcat et des Su-27 à la place du Skyhawk. Top gun sans l’accident de Goose, donc Top gun sans les larmes de Meg Ryan. Et du coup, Top gun avec un Maverick dont le dilemme le plus grave dans la vie serait « Comment montrer que je suis meilleur pilote de J‑10 que mon commandant ? »
Quoique non, en fait. Top gun débarrassé de tout doute sur la compétence du personnage principal, donc en fait sans même le dilemme « Comment montrer que je suis le meilleur ? » Top gun où Iceman serait le commandant de la base, calme, rangé, marié, fidèle aux procédures, et considérerait dès l’ouverture que Maverick est meilleur que lui. Top gun imprégné de morale conformiste à la gloire du Parti, où même le commissaire politique est sympathique.
Top gun avec une héroïne ornithologiste chargée d’effaroucher les grues au lieu d’une instructrice badass prête à saquer les pilotes. Top gun où les scènes de romance les plus chaudes sont « On pourrait enregistrer des bruits de prédateurs et les repasser sur des haut-parleurs pour faire fuir les oiseaux ? — Ouahou, t’es vraiment super intelligent !!!« 1 Donc, Top gun sans les épaules délicates de Kelly McGillis ni les pectoraux musclés de Tom Cruise et Val Kilmer.
Oh, et à propos de Tom Cruise, je pensais pas l’applaudir un jour, mais en comparaison avec Guangjie Li, c’est un acteur extraordinaire. La remarque est d’ailleurs valable pour l’ensemble du casting de chaque film. Mis à part les pleurs de Meg Ryan déjà mentionnés, Top gun était joué avec les pieds. 歼十出击 Sky fighters parvient à surenchérir. Il est joué avec les coussinets de Rantanplan.
Et puisque j’ai parlé de Rantanplan, notez que c’est Averell Dalton qui a été chargé de la traduction2. À moins que ce ne fût Google Traduction — qui en 2011 était loin de son niveau actuel. Ça va jusque sur l’affiche : dans certains pays, le film a été distribué sous le titre « Lock destination », traduction littérale pourrie de l’expression signifiant « cible verrouillée », « target acquired » en anglais.
Vous vous souvenez du mode d’emploi de la cafetière made in Hong-kong que vous avez achetée il y a trois ans, qui vous expliquait qu’il fallait mettre le papier dans le cône puis ajouter une cuiller de cocaïne par casserole d’eau ? Celui où vous vous êtes creusé la tête pendant un moment, avant de sortir votre vieux dictionnaire de sinogrammes pour essayer de comprendre la version originale (ah, donc « papier », c’était « filtre », « cocaïne », c’était « poudre » et « casserole », c’était « tasse », c’est beaucoup plus clair maintenant…) ?
Voilà. Tout un film traduit comme ça, je vous jure, c’est fascinant…
Notez qu’au moins, ça ajoute une touche comique à une œuvre aussi palpitante et rythmée que le Petit livre rouge3. Les situations sont tellement haletantes, les relations entre personnages tellement profondes, les dialogues tellement naturels, les intonations tellement crédibles et le jeu des acteurs tellement convaincant qu’on a l’impression de voir Donald Trump lire un discours de jeunesse de Gérard Miller. (Et au risque d’insister, imaginez qu’en même temps les sous-titres soient la traduction anglaise de la traduction ouzbèke du même discours de jeunesse de Gérard Miller.)
Voilà, je crois avoir tout dit…
Ah non, je savais bien que j’oubliais un truc. En effet, j’ai pas parlé d’aéronautique.
Donc, vous apprendrez ici qu’un avion de chasse, pour faire un virage, il est obligé de faire un ou deux tonneaux. Que le J‑10 est parfaitement capable de faire un cobra4 et d’affronter un Su-27 dans tous les domaines de vol. Qu’en guise de manette des gaz, le J‑10 a une espèce de molette à côté du genou droit du pilote. Que pour intercepter un avion qui vole en ligne droite, il faut faire des tonneaux dans tous les sens. Qu’un pilote qui a merdé une manœuvre, provoqué une extinction et eu toutes les peines du monde à redémarrer son réacteur peut repartir faire des conneries comme en 40, sans penser à revenir à la base faire inspecter son appareil. Que la meilleure incidence de planer dans un avion en panne moteur est quelque part autour de 35 ou 40 degrés — pour ceux qui voient pas : c’est celle qu’avait le Rio-Paris quand il a percuté l’Atlantique.
Voilà, en fait, c’est pas que j’ai pas parlé d’aéronautique, c’est que j’ai refoulé les aspects aéronautiques, le traumatisme étant trop profond.
J’ai une bonne nouvelle pour vous : vous n’êtes pas obligés de voir cette daube. Mais j’ai une mauvaise nouvelle, c’est que je risque d’en reparler régulièrement, vu à quel point il enfonce tous mes précédents étalons en matière de navet aéronautique.
- Dialogue réel. Il y a des choses dans la vie qu’on a même pas besoin d’exagérer.
- Pour ceux qui n’auraient pas lu Tortillas pour les Dalton : « — ¿Cuándo se come aquí ? — Oh, cuacuacomekiki, c’est facile, l’espagnol. »
- Je dis ça, j’en sais rien, je l’ai jamais lu. Mais j’ai entendu parler d’anciens maoïstes, ça avait pas l’air net dans leur tête.
- On est en 2010, donc on parle du J‑10 original, qui n’avait pas de poussée vectorielle…