Moi, Daniel Blake
|de Ken Loach, 2016, ****+
C’est un système parfaitement bien conçu. D’un côté, les gens sans emploi ont droit à des allocations chômage, ce qui leur permet de chercher un emploi sans mourir de faim. De l’autre, les gens qui ne peuvent plus travailler ont droit à une pension d’invalidité, qui leur permet de faire autre chose sans mourir de faim. Et pour déterminer où doit aller un type en convalescence suite à un accident cardiaque, des médecins l’examinent. C’est un système parfaitement bien conçu : ainsi, Daniel Blake voit son cardiologue lui interdire de travailler, ce qui lui ouvre droit à la pension ; mais le médecin de l’assurance maladie le trouve apte, ce qui lui ouvre droit aux allocations ; il doit donc chercher du travail, en sachant qu’il ne pourra pas l’accepter s’il en trouve. C’est un système parfaitement bien conçu… pour humilier et détruire les honnêtes gens.
Ken a 80 ans, et il continue à explorer tranquillement l’humanité, ses travers, ses lâchetés, ses absurdités, ses héroïsmes et ses joies aussi. Lui et Paul Laverty, son compère depuis vingt ans, construisent leurs portraits avec la force et la tranquillité de ceux qui savent ce qu’ils veulent faire et comment le faire, et qui savent surtout qu’ils n’ont pas besoin d’en faire des tonnes s’ils parviennent à capturer une forme de réalité. Aussi bien côté scénario que réalisation, on ne trouvera donc pas ici de spectaculaires démonstrations ou d’astucieux effets de manche ; le film repose sur la simplicité, l’accessibilité, et une irréprochable honnêteté, ses pères s’effaçant totalement derrière leurs sujets.
Fondamentalement tragique, il ressemble parfois à une descente aux enfers parfaitement orchestrée par une administration impeccablement mécanique ; mais, comme toutes les situations désespérées, il n’est pas exempt d’humour, s’offrant des moments réellement tordants comme celui où Daniel, devant l’obstination du Pôle Emploi local, décide de porter l’affaire dans la rue. La relation entre Daniel et Katie, qui repose sur un mélange de filiation morale, d’admiration, de pitié et de solidarité face au sordide, est également fort réussie : elle aussi montre un pan de réalité — les petites gens qui s’entraident pour tenter de survivre à la machine.
Globalement, Moi, Daniel Blake est donc un véritable petit bijou. Une réserve ? Oui, une : le finale un peu trop convenu — bien fichu, mais convenu. D’autant plus dommage que la scène qui l’ouvre est exemplaire d’ironie absurde et qu’on aurait aisément pu trouver une conclusion un peu plus grinçante, moins donneuse de leçons. Mais ça n’empêche que c’est un film à voir, surtout si vous avez parfois affaire à Pôle Emploi ou à la Sécurité sociale et cherchez un peu de réconfort.