Sexisme ?
|Le test de Bechdel. C’est un sujet qui revient souvent dans les conversations ces derniers temps. En gros, il s’agit de déterminer pour un film (mais ça peut marcher pour d’autres types d’œuvres) si :
- il y a deux personnages féminins identifiés ;
- les deux ont au moins un échange ;
- cet échange porte sur autre chose qu’un personnage masculin.
Le test a été largement critiqué, mais aussi salué, et il est remarquable que grosso modo un film sur deux ne remplisse pas les critères – soit ils ont zéro ou un personnage féminin, soit les deux ne communiquent pas sur autre chose que les mâles. C’est, de manière générale, considéré comme un symptôme statistique de la sous-représentation des personnages féminins au cinéma.
Mais la dernière fois, je me suis fait une réflexion sur ce test : et si on l’inversait ? J’ai au moins un exemple de film dont je ne suis pas sûr qu’il passe le test contraire : l’excellent Sils Maria.
J’ai presque envie de le revoir juste pour vérifier, mais :
- il y a bien des personnages masculins : les deux qui me viennent sont Henryk et Klaus, il y a aussi le photographe ;
- mais ils communiquent peu entre eux, et je ne suis pas sûr qu’ils aient un vrai échange quelque part ;
- et quand bien même ils auraient cet échange, la probabilité qu’ils parlent essentiellement de Maria, Valentine ou Jo-Ann est proche de 1.
On accuse aisément un film d’action (voire le genre complet) d’être misogyne en mettant en avant l’absence de dialogue construit entre personnages féminins. Dont-on accuser Sils Maria d’être misandre ?
Ben… À mon humble avis, non. Les mecs de Sils Maria sont là comme contrepoints, observateurs ou tentations, largement plus que comme personnages, c’est entendu. Je n’y vois pourtant pas de volonté de dégrader les hommes : c’est un film qui parle de femmes, c’est tout.
Il y a un paradoxe assez remarquable là-dedans : quand un film centré sur un personnage féminin réduit les hommes au rôle d’accessoires, tout le monde trouve que c’est normal, c’est un « film de femmes ». Mais quand un film centré sur un personnage masculin ignore les femmes, on a tout de suite tendance à imaginer que c’est une preuve de sexisme ambiant.
Oui, il y a du sexisme dans Expendables. Ce n’est pas dans le fait qu’il n’y ait pas de personnage féminin digne de ce nom : soyons honnête une seconde, il n’y a pas non plus de personnage masculin digne de ce nom — à la base, il n’y a ni dialogues, ni scénario, hein. Le sexisme d’Expendables, c’est le fait que les personnages féminins soient habillés pour mettre en avant leur physique alors que les personnages masculins sont habillés pour se foutre sur la gueule. Les hommes sont des hommes d’action, les femmes sont des femmes-objets d’action, et quand bien même à première vue Maggie et Luna ont un rôle important dans les deux derniers j’ai tendance à considérer qu’il y a bien un traitement différent en fonction du sexe.
Mais la série des Die hard, par exemple ? Les personnages féminins sont rares, parce que les agents de sûreté et les terroristes sont essentiellement des hommes. Si certains considèrent que Piège de cristal passe parce que la Holly McLane parle à une secrétaire, c’est quand même pas évident de trouver de vrais personnages féminins — Holly est la seule à avoir un vrai rôle, et souvent pour ajouter un ressort comique en terrorisant un journaliste ou pour motiver John. Sexiste ? Boaf. John est le héros, il vit dans un univers de mecs, et les rares femmes présentes font partie du décor comme 95 % des hommes ; elles ne sont ni plus objets, ni plus caricatures, que les hommes qui comme elles ne prennent pas part à l’action.
Et Warrior, tiens ? Warrior se plante lamentablement au test de Bechdel : il y a plusieurs personnages féminins, mais ils ne sont jamais en contact direct et toute leur vie semble tourner autour des personnages masculins. Ouh là là quel sexisme ! Sauf que. Sauf que Warrior, c’est l’histoire de deux frères qui se foutent sur la gueule. Tout le film tourne autour, tout le film ne s’intéresse qu’à eux, ils sont l’intégralité du sujet ; les femmes qui les entourent sont là parce qu’elles les entourent et sont focalisées sur eux, mais exactement de la manière dont le reste de leur environnement n’est là que parce que c’est leur environnement et est focalisé sur eux. Elles n’existent que pour soutenir leurs hommes ? Mais l’humanité n’existe que pour soutenir leurs hommes !
Le sexisme ne se résume pas à la question de donner un rôle aux femmes. C’est aussi bien sûr quel rôle on leur donne, mais plus encore la question beaucoup plus insidieuse de comment elles sont montrées dans ce rôle. Quand Rhonda Rousey est la seule personne dont on voit le nombril sur une affiche officielle, ou qu’elle est la seule à avoir une tenue moulante alors que la logique voudrait que son personnage ait le même genre de gilet en kevlar que ses camarades, peu importe qu’elle ait un rôle important, écrit, avec des vrais dialogues, ou pas (en l’occurrence, c’est plutôt « ou pas ») : ça reste misogyne.
Par contre, quand une épouse est présentée comme le soutien indispensable, le guide spirituel ou la force extérieure du héros, ça n’est pas nécessairement sexiste, même si ça participe à la sous-représentation des femmes dans le cinéma. Warrior n’est pas plus sexiste que Sils Maria, ce sont juste deux films focalisés sur, respectivement, leurs héros et leurs héroïnes, où le reste du monde n’est qu’accessoire.