Le Mans
|expérience à tenter de Lee Katzin, 1971
En 1966, Frankenheimer faisait Grand prix. Le film était grand (2 h 45), le casting aussi, la réalisation d’une audace certaine (Oscars du meilleur montage et des meilleurs effets sonores) avec des plans multiples, des variations de format et de cadrages, des caméras 65 mm embarquées et un tournage en vraies compétitions, le tout pour un film à très gros budget. Le résultat est un succès critique et commercial même si certains regrettent un scénario sage et rempli de clichés ; et faire un film de course automobile après celui-ci est, en soi, délicat.
Il n’aura pourtant fallu que quatre ans pour qu’un autre projet naisse. Steve McQueen, coureur automobile lui-même, tenait à faire un film sur la course. Mais après que John Sturges laissa tomber suite à des divergences avec l’acteur, c’est un jeune réalisateur de séries télé, Lee Katzin, qui dirigea et monta le film : né de la volonté d’un acteur passionné, changeant de réalisateur, passant après un chef-d’œuvre reconnu, Le Mans ne paraissait pas forcément bien engagé et, de fait, connut une sortie assez discrète et un bilan mitigé au box-office.
Pourtant, Le Mans a des qualités que Grand prix n’a pas.
Tout d’abord, Le Mans est un film sur la course. Pas sur les pilotes, pas sur la philosophie sportive, pas sur les amours contrariées ou le retour du blessé ; sur la course. Il est court (1 h 46), intense, taiseux au point de commencer par 35 minutes sans un seul dialogue. Il n’a pas de scénario à proprement parler : la grande intrigue est plutôt un assemblage de scènes de course, archi-documentaires bien souvent, et certains trucs qui paraissent bizarres aujourd’hui étaient monnaie courante à l’époque — rappeler un pilote ayant abandonné pour remplacer un équipage plus lent, faire intervenir les mécanos directement sur la piste faute de ligne des stands clairement séparée… et attendre plusieurs minutes après un accident avant de savoir qui a été pris dedans.
Plus encore que Grand prix, Le Mans met aussi en avant la sécurité toute relative qui était la norme à la fin des années 60. Peut-être parce que, contrairement aux F1, les prototypes étaient habillés d’une carrosserie complète, mais la plus légère possible ; peut-être parce que leurs pneus étaient amenés à durer plus longtemps ou encore parce que les 917 avaient une puissance (plus de 600 ch) que les F1 n’ont atteinte que dix ans plus tard… Du coup, les voitures bougent, les roues hésitent, tout glisse, tout rebondit. Et au moindre contact, le pilote se retrouve à poil dans une baignoire de tubes d’acier, en espérant ne pas être coincé à l’intérieur quand il sera arrivé à la glissière.
Côté jeu d’acteurs, dialogues et scénario, réflexion et mise en abîme, c’est le calme plat. Alors que Frankenheimer tentait de plonger dans la mentalité des pilotes, les montrant en réunion de sécurité, au bistrot, en soirées ou en vacances, Katzin leur confie le volant — et c’est tout. Les femmes, ils s’en foutent (d’ailleurs, il y en a peu), le champagne, guère plus, et la mort, elle fait partie du métier — comme le fait remarquer le héros à la veuve d’un pilote : « C’est un sport sanglant organisé. Et ça peut t’arriver. Et ensuite, ça peut t’arriver de nouveau. »
Il n’y qu’un réel dialogue, un peu plus tard, entre la veuve et le héros, celui où il explique que pour les bons, la course est la seule chose vraiment importante. Ça restera le seul moment explicitement introspectif ; et finalement, il y a bien plus d’émotion dans le plan du début où Michael Delaney regarde, silencieux, les cinq mètres de glissières neuves près de la Maison blanche.
En fait, Le Mans est un peu comme un Grand prix débarrassé de ses aspects grand public. Réservé aux purs maniaques de sport auto, à ceux qui n’ont que faire d’une belle histoire d’amour ou de pensées profondes, il profite d’une réalisation étonnamment réussie — parfois posée, parfois capable d’accélérations fulgurantes quitte à prendre le spectateur à contre-pied — pour mener directement dans une 917, aux côtés du pilote, et faire vivre la course de l’intérieur. Bref, une expérience, plus qu’un film.