Memento
|de Christopher Nolan, 2000, ****
Bon, ayé, je me suis décidé à me plonger un peu plus profondément dans la filmographie de Nolan. Faut dire que Batman begins était potable (ce qui n’est pas forcément donné avec Batman, n’est-ce pas m’sieur Schumacher ?), Le chevalier noir excellent, que Insomnia fait partie des petits bijoux du polar et que Inception est… Euh, je cherche un mot… ♥_♥, voilà.
Donc, Memento, cité par les amateurs comme un chef-d’œuvre (certains le positionnent même au delà de Inception).
L’histoire d’un mec qui n’a plus de mémoire immédiate. Passée la mémoire de travail, qui stocke les informations pendant quelques minutes tout au plus, il n’imprime plus rien, ce qui bloque bien entendu également le stockage de nouvelles informations dans la mémoire à long terme — laquelle est, elle, bien fonctionnelle, mais se retrouve du coup en lecture seule : il connaît son nom, ses habitudes, sait faire tout ce qu’il maîtrisait au moment de l’accident. Or, l’accident, c’est le viol et le meurtre de sa femme, qu’il est décidé à venger. Organiser l’enquête, la poursuite du meurtrier et son exécution quand on reboote toutes les dix minutes, pas simple.
L’idée de base a servi d’inspiration, n’en doutons pas, à un excellent eastern spaghetti (ou western yam-cha ?), le Vengeance de Johnnie To. Mais la trame est totalement différente, ne serait-ce que parce que To s’était concentré sur l’action et l’humour façon Leone, alors que Nolan construit intégralement son film sur la perte de mémoire et le doute, l’hésitation, la confusion qu’elle entraîne.
Et pour commencer, Nolan s’arrange pour que le spectateur n’en sache pas plus que le personnage central, en adoptant une construction anti-chronologique : on commence par la fin et l’on remonte vers la source du film — ce qui n’empêchera un retournement final (ou initial ?) impressionnant par l’abîme qu’il creusera sous vos pieds de spectateurs.
Une fois le postulat « je ne sais pas comment je suis arrivé là » (qui est également important dans Inception, malgré une narration à peu près chronologique) admis, cette construction inversée fonctionne à fond. Parce qu’elle sert ici un propos réel et, du coup, aide le spectateur à s’immerger dans le film et à vivre ce que vit le personnage.
On est donc très, très loin d’un Irréversible, sous-merde de Gaspard Noé qui adoptait une construction anti-chronologique comme artifice branchouille pour donner un air de truc intello à la production vide d’un esprit néant, ou même d’un épisode d’Urgences (Rétrospectivement, saison 9, épisode 10) où je cherche encore ce que le réalisateur a cherché à faire. Ici, la construction inversée a une vraie raison d’être, une logique narrative propre qui sert le propos poursuivi.
Quant à l’interprétation sur la « vérité » (notion généralement essentielle dans un polar), elle sera laissée au spectateur. Vengeur, assassin, un peu des deux ? Ami, ennemi, flic consciencieux ou dealer ripoux ? Ça sera à vous de vous forger votre réalité, ce qui n’est pas forcément un mal — une fin « ouverte » peut être une grande force ; pour ma part, je suis fan de la coupure brutale et interrogative de Les androïdes rêvent-ils de moutons mécaniques ? dans son montage original, sans le happy end.
Au final, c’est un film très, très fort, prenant, où l’on passe son temps à s’interroger sur les faits « passés » comme le personnage principal cherche à trouver ses repères. Mais je n’ai pas été transporté comme j’ai pu l’être par le dernier bébé de son père. C’est un problème : quand on s’attend à un chef-d’œuvre après les commentaires de gens dont on respecte l’avis autant que le sien propre, on est déçu quand ce n’est qu’excellent. ^^