John Rambo
|de Sylvester Stallone, 2008, ***
Ayé, j’ai bouclé la boucle. Vu les quatre Rambo. Enfin, les deux Rambo et les deux autres trucs, plutôt.
La série des Rambo est en effet composée de deux films. Le premier sang est sorti en 1982 sous la houlette de Ted Kotcheff, et le présent John Rambo 26 ans plus tard. Entre les deux, La mission (1985, George Pan Cosmatos) et Rambo III (1988, Peter McDonald) ont été des parenthèses d’un intérêt comparable aux deux Batman de Joel Schumacher.
Pourquoi je dis ça ? Parce que Rambo n’est pas juste une machine de guerre ridiculement efficace. Rambo est l’âme troublée des États-Unis, la mauvaise conscience des Américains qui ne savent plus quoi faire des centaines de milliers de gosses qui reviennent d’une guerre avec le meurtre comme unique formation. Le premier sang était bien entendu un film d’action, mais surtout un symptôme intéressant qui exposait le problème de manière bien plus crue et détaillée que ne le fit la série des L’arme fatale1. Le premier sang mettait en scène le retour du soldat, qui arrive adulte dans un monde différent de celui qu’il a quitté adolescent, dont il n’a pas les clefs et où rien ne l’attend, et le comportement de ce monde qui est face à ce soldat comme Frankenstein face à son monstre.
Par la suite, Rambo ne servait que de prétexte à un film de muscles. Les deuxième et troisième épisodes sont totalement dépourvus de toute réflexion ; Rambo y devient simplement la machine que l’on va remettre en route pour se sortir de situations inextricables. Ils n’avaient finalement de commun avec le premier que la partie inintéressante et le ridicule achevé de certaines situations (un homme seul qui se rue sur cinquante, même avec un M16 dans chaque main, ne vit normalement que le temps qu’un des cinquante ennemis se dise : « il tire dans le tas, statistiquement, j’ai le temps de l’aligner soigneusement avant d’être touché »).
Un quart de siècle a passé, et Rambo n’a toujours pas trouvé sa place aux États-Unis. Pour tout dire, il a abandonné l’espoir de la trouver et s’est installé en Thaïlande. Et cette fois, on ne va pas venir le chercher pour sauver le monde en tuant à tort et à travers ; on va juste lui demander d’utiliser son bateau pour mener un lot d’humanitaire chrétiens jusqu’en Birmanie. Et lorsqu’il dégomme un pirate par pure légitime défense, on ne va pas lui envoyer un superbe « bravo John, ce singe jaune a eu ce qu’il méritait », mais un « vous êtes taré ? On avait de quoi le payer ! ».
C’est la partie intéressante du film : d’un côté, un lot de sortes d’angelots tombés du ciel, totalement déconnectés de la réalité — laquelle est, en substance : la guerre, même civile, c’est moche, et il ne suffit pas d’une bande de blondinets à crucifix pour y changer quelque chose — ; de l’autre, John Rambo, blasé, nageant dans la désillusion et convaincu que les curaillous y laisseront leur peau. Le choc de la conviction judéo-chrétienne que l’homme est bon, mis au contact d’une réalité qui dit que trois soldats de la Wermacht sur quatre à qui l’on proposait de ne pas participer à un massacre déclinaient l’offre.
Ensuite, comme prévu, les humanitaires sont pris au piège par les Birmans, et un commando est envoyé les récupérer… Et là, deuxième choc du film : oui, un mercenaires américain peut chier dans son froc, sauter sur une mine ou tuer des gens de sang-froid — j’ai pas souvenir d’avoir vu un sniper dans les précédents Rambo, et celui qui intervient ici est assez représentatif d’à quel point un gros calibre de précision bien planqué et bien manipulé est une arme redoutable.
Évidemment, on retrouve dans cette deuxième partie les scènes emblématiques de Rambo, comme l’utilisation d’un duo de mitrailleuses de .50 comme d’autres manipulent un .38 Special, avec du sang et des tripes de Birmans qui giclent dans tous les sens. Mais on a tout de même ici une première partie tendue, prenante et perturbante qui donne à ce John Rambo la structure du Premier sang, qui permet au film de boucler le cercle et de se révéler enfin à la hauteur, après deux opus navrants que l’on aimerait oublier.