Kaamelott – premier volet

d’Alexandre Astier, 2020±11, ****

Vous vous sou­ve­nez de Kaamelott ? Allons, je suis sûr que si. Mes parents s’en sou­viennent, je m’en sou­viens, et si j’a­vais des gosses, ils s’en sou­vien­draient sans doute, si j’en juge par la sur­vi­vance de l’ex­pres­sion « C’est pas faux » chez mes élèves de BIA. On a rare­ment vu une série prendre aus­si bien chez autant de générations.

Et bien, Kaamelott se ter­mi­nait sur un cliff­han­ger noir. Noir comme l’hu­meur d’Arthur, le roi mau­dit, celui qui a tiré l’é­pée du rocher, uni les clans de Bretagne, repous­sé les inva­sions saxonnes, réuni les che­va­liers de la Table ronde, mené la quête du Graal, et qui en a tiré comme seul bon­heur l’é­phé­mère satis­fac­tion de com­prendre les règles d’un jeu gallois.

Dix ans ont pas­sé. Arthur a dis­pa­ru, et Lancelot dirige la Bretagne. Pour ce faire, il s’est asso­cié aux Saxons menés par Horsa, à qui il cède l’île de Thanet en guise de solde. Venec, le petit contre­ban­dier bre­ton, a fui loin de sa terre natale : c’est en Afrique qu’il se fait cap­tu­rer par un pirate. Pour s’en sor­tir, il le met sur la piste d’un ancien roi, per­du et ven­du comme esclave, qui vau­drait une petite for­tune à celui qui le ramè­ne­rait en Bretagne…

Bon, j’vais pas vous bara­ti­ner : si vous me rame­nez en Bretagne, vous aurez une prime, c’est sûr. Mais alors vous vous asseyez sur l’oc­ca­sion d’une vie, et ça me fen­drait le cœur de vous voir pas­ser à côté de tout ce pognon. — pho­to SND

Alors voi­là, d’en­trée, on retrouve les deux obses­sions d’Astier. D’une part, les vannes vachardes, les situa­tions absurdes et le comique de situa­tion — on n’as­so­cie habi­tuel­le­ment pas la déli­ca­tesse de Guillaume Gallienne à la féro­ci­té d’un Barbe-Noire médi­ter­ra­néen. D’autre part, l’Histoire, la vraie, et com­ment la racon­ter de manière amu­sante, en l’a­dap­tant à sa sauce, mais en y ren­voyant le spectateur.

Parce que, par exemple, c’est bien Thanet qui a été la pre­mière terre bre­tonne don­née aux Saxons, lorsque Vortigen s’est allié avec eux. Lancelot a rem­pla­cé celui-ci et Hengist et Horsa ont fusion­né, mais toute la séquence anglo-saxonne est éton­nam­ment fidèle à ce qu’on sait de l’Histoire au cin­quième siècle.

Soit dit en pas­sant, il va fal­loir être clair sur un truc : Sting est meilleur comme acteur dans un rôle de méchant que comme auteur-com­po­si­teur-inter­prète. Et vu le temps que j’ai pas­sé à écou­ter Message in a bot­tleInvisible Sun et Walking on the Moon, ça en dit long sur sa pres­ta­tion. Ombrageux, brû­lant et gla­cial, paci­fi­que­ment tei­gneux, son Horsa s’in­tègre super­be­ment à la gale­rie de por­traits du film. L’ensemble du cas­ting fait son bou­lot avec la qua­li­té qu’on lui connaît, et cer­tains nou­veaux venus inter­prètent magis­tra­le­ment leurs per­son­nages. Pourtant, il suf­fit de trois répliques pour que l’Anglais à l’ac­cent ger­ma­nique grimpe en haut de la liste.

Dans l’Histoire, j’a­vais un frère. Dans cette his­toire, disons que j’ai gagné au change… — cap­ture de bande-annonce SND

L’autre his­toire qu’Astier reprend fidè­le­ment, réadapte à sauce et tra­hit éhon­té­ment, c’est… Un nou­vel espoir. Oui, celui-là. Le quatrième/premier épi­sode de La guerre des étoiles. Ça n’est pas tout à fait nou­veau : la série inté­grait déjà quelques clins d’œil aux films de Lucas. Mais ici ce sont de véri­tables pans de trame qui sont repris, en par­ti­cu­lier du côté de la Résistance. Mais il ne s’a­git pas d’une pâle resu­cée comme Le réveil de la force ou Les der­niers jedi ; c’est un hom­mage intel­li­gent, qui reprend juste assez pour qu’on appré­cie le paral­lèle, mais qui sait gar­der sa propre tona­li­té et sa propre histoire.

Nous, les Semi-Croustillants, on est le cœur de la Résistance ! Alors on va creu­ser jus­qu’au cœur de l’é­toile de la mort Kaamelott ! — cap­ture de bande-annonce SND

En pas­sant, Astier joue aus­si avec ses propres codes : vous serez peut-être sur­pris d’ap­prendre que Merlin peut être un véri­table res­sort héroïque (même si j’i­ma­gine que l’Odieux Connard trou­ve­ra à redire à la logique de cette séquence). On assiste à une par­tie de robo­role, l’un de ces jeux gal­lois jus­qu’i­ci célèbres pour être impos­sibles à jouer. Oh, et même les Burgondes par­viennent à être autre chose que des cré­tins que déjà il cause pas la langue, en plus il bouffe toute la cam­buse et on com­prend rien à ce qu’il dit, alors ça va bien un moment hein !

Arthur ! La guerre ! — cap­ture de bande-annonce SND

Donc, Kaamelott – pre­mier volet est tou­jours aus­si con, tou­jours aus­si drôle, et oscille intel­li­gem­ment entre la tona­li­té noire du livre V et l’hu­mour aci­do-basique des débuts. Mais il se réin­vente aus­si suf­fi­sam­ment pour être nou­veau, abor­der des thèmes inédits (le gigan­tisme de l’Empire romain au 5e siècle par exemple) et réveiller l’intérêt.

Tout bon ? Non. Il y a un truc qui tombe à plat : les flash-back où Arturus, jeune légion­naire en poste en Maurétanie, découvre les émois amou­reux. Prévisible et gen­tillet, ça s’in­tègre moyen­ne­ment au reste de l’œuvre (sur­tout que les rela­tions sen­ti­men­tales, chez les Astier en géné­ral, c’est pas cen­sé être gen­til). Et sur­tout, ça se veut sim­ple­ment émou­vant, alors que la signa­ture de cet uni­vers est jus­te­ment de tou­jours avoir un côté grin­çant sous les scènes les plus tendres.

Une rela­tion sans engueu­lade : le truc qui colle pas dans cet uni­vers. — pho­to SND

Et puis il y a Clavier, qui arri­vait à pas trop faire du Clavier il y a quinze ans, mais qui se vautre ici dans une cari­ca­ture de lui-même qu’on n’a­vait plus vue depuis Les bron­zés 3 amis pour la vie. Je disais dans la cri­tique de la série que le grand talent d’Astier, c’é­tait d’ar­ri­ver à nous faire aimer des per­son­nages cré­tins et/ou imbu­vables ; mais ici, le « talent » de l’ac­teur déborde celui de l’au­teur, et on a envie de filer des baffes à son juris­con­sulte à la seconde où il entrouvre la bouche.

Mais en-dehors de cela, Kaamelott – pre­mier volet tient ses pro­messes. Le « fan ser­vice » est assu­ré pour les ado­ra­teurs de Kaamelott, la nou­veau­té aus­si pour ceux qui ne vou­laient pas sim­ple­ment voir la série sur grand écran. Le cas­ting aux petits oignons porte des per­son­nages sur le juste fil entre ridi­cule et atta­chant, et l’é­qui­libre entre suc­ces­sion de sketches et film uni­fié est réussi.

Espérons main­te­nant ne pas avoir à poi­reau­ter 14 ans pour la suite…

  1. Les enfants, pour l’an­née de pro­duc­tion, c’est n’im­porte quoi, entre ce qui a été écrit dès 2013, ce qui a été tour­né en 2019, ce qui a été enre­gis­tré en 2020, les reports de divers trucs à cause de l’é­pi­dé­mie, tout ça. Du coup Allociné retient 2019, IMDB 2021, et per­so j’i­nau­gure une nou­velle nota­tion à la con, voi­là. Ex tem­pus nova scrip­turæ, ça ne veut rien dire, mais ça sonne bien.