Snowden
|d’Oliver Stone, 2016, ***
Vous avez peut-être déjà entendu le nom d’Edward Snowden — ou alors, c’est que vous êtes sourd, aveugle, et que vous avez vécu sur une île déserte depuis trois ans. Vous savez donc que Snowden est un informaticien, employé par la CIA et la NSA, qui a dit aux Américains : « eh, les gars, vous savez qu’on vous surveille, qu’on vous voit, qu’on vous traque, qu’on entend jusqu’à ce que vous murmurez à l’oreille de votre compagne pour vous excuser d’avoir invité votre mère à dîner sans lui demander ? »
Si ça vous intéresse, vous avez même déjà vu Citizenfour, le documentaire de Laura Poitras, qui fit partie des premiers journalistes à rencontrer Snowden et a filmé tous leurs échanges ; alors, vous connaissez très bien les tenants et aboutissants de l’affaire. Dans ce cas, j’ai une relativement mauvaise nouvelle : ça n’est pas à vous qu’Oliver Stone s’adresse.
Stone fait le pari que son spectateur a vaguement entendu parler de l’affaire, ne s’y est pas plus intéressé que ça, ignore à peu près totalement qui est Snowden et ne sait que très vaguement de quoi il s’agit. Et il calibre son film pour parler en particulier au péquenot américain moyen, informé par Fox News, prêt à voter Trump, qui a surtout retenu que Snowden avait divulgué des secrets défense et le considère donc comme un traître.
C’est un peu la faiblesse du film : il ne s’adresse clairement pas à nous. Pas que BFM TV soit une meilleure source d’information que Fox News, mais le présupposé chez nous est diamétralement opposé — le grand méchant aigle américain surveille tout le monde, et Snowden est un héros mondial pour l’avoir révélé.
Du coup, tous les efforts visant à prouver que Snowden est un vrai patriote, plein de respect pour la Constitution et d’admiration pour son pays, tombent un peu à plat. Et c’est dommage, parce que non seulement la présentation du personnage (à travers son bref passage militaire), mais aussi toute son évolution repose sur le rappel constant de son attachement patriotique : aussi, c’est tout le film qui oublie qu’il va être vu hors des frontières des États-Unis. Son seul autre point d’accroche est la relation entre Edward et Lindsay, mais celle-ci est finalement trop pleine de clichés, trop facile, trop prévisible pour vraiment attirer l’attention.
Ajoutons que Stone a parfois tendance à en faire un peu trop dans ses démonstrations et à se perdre en longueurs (bon, c’est pas JFK non plus, mais ça reste plutôt lent), et on comprend que pour le coup, Snowden ne restera pas dans les annales comme son chef-d’œuvre. C’est au fond plutôt bien fait, c’est excellemment joué (la prestation de Joseph Gordon-Levitt est remarquable et, quand on a vu Citizenfour, la gestuelle, la pointe d’accent, les intonations sont vraiment bien rendues), mais c’est trop propre et trop calibré à destination d’un public américain pour vraiment passionner le reste du monde.