Seul sur Mars
|de Ridley Scott, 2015, ****
Je l’ai déjà dit, ce cher Ridley a des hauts très hauts et des bas très bas. Ces derniers temps, on le sentait fatigué : Robin des Bois était pas mal mais languissant, Prometheus, pour sympa, distrayant et parfois hautement philosophique qu’il fût, ne manquait pas d’absurdités (les guignols qui vont grattouiller le Goa’uld, je m’en remettrai jamais), et Exodus : gods and kings est une bouse sans nom tout juste sauvée par un casting impeccable (et le sourire de l’ouvreuse du cinéma).
Pour Seul sur Mars, d’un côté, le scénario est tellement en or qu’il était difficile de le rater, et c’est un bon vieux survival, genre que Ridley a déjà pratiqué avec succès (vous avez peut-être entendu parler d’un des petits films de ses débuts, Alien, le huitième passager ?). D’un autre côté, il aurait suffi de vouloir lui ajouter une dose de pathos ou de psychologie pour le foutre par terre et, ayant adoré le roman, j’aurais beaucoup souffert si le film avait renoncé à la ligne « SF réaliste » du livre.
La bonne nouvelle, c’est que la tonalité du bouquin a été assez bien conservée. Bien entendu, des pans entiers d’explications ont sauté, de même que quelques rebondissements, et certains éléments ont été simplifiés. On note aussi quelques bizarreries, comme la tempête très « terrestre » (les tempêtes martiennes sont très ténues, la pression atmosphérique étant extrêmement faible) qui ressemble assez peu à celle du roman, ou les trajectoires des gens en apesanteur qui révèlent l’incrustation. Et rien n’explique pourquoi Mark Watney découpe son rover à la perceuse, encore que je ne serais pas étonné que ça soit dans une scène coupée qui apparaîtra dans une version longue. Mais on retrouve Watney, son humour noir, son attachement aux détails bizarres et, au delà que la trame générale, on retrouve cet équilibre particulier entre drôlerie acerbe, science brute et action héroïque.
La réalisation est presque sans défaut : montage rythmé, photo soignée, stéréoscopie efficace (quoiqu’un poil exagérée sur une poignée de gros plans). On retrouve bien entendu, en particulier dans les pièces tournantes de l’Hermes, quelques clins d’œil à 2001, l’odyssée de l’espace — décidément incontournable quand on fait un film de SF de nos jours — mais l’histoire est ici beaucoup plus directe et Scott n’a cette fois pas essayé de nous vendre une symbolique kubrickienne. Le casting est impressionnant : la performance de Matt Damon est évidemment remarquable (il tient l’écran seul pendant la moitié du film), mais des acteurs renommés ont été embauchés jusque pour les second rôles et et l’ensemble fait un excellent travail — le maillon faible serait peut-être Jessica Chastain, c’est dire. Même Michael Peña sort enfin de la simple caricature de latino, ce qui fait du bien.
Quelques scènes sont particulièrement notables ; en particulier, lorsque Watney extrait la pointe d’antenne qui lui a pénétré l’abdomen au début, ça pique le spectateur presque autant que le personnage. On note aussi que le rationnement alimentaire, moins détaillé que dans le livre, est tout de même efficacement signalé sur une paire de plans où l’on peut voir la maigreur de Watney après un an sur Mars : ça aussi, ça fait mal, au moins pour un morfale dans mon genre. À l’inverse, quoique réussite visuelle, l’hommage à Iron man est la vraie faiblesse sur le plan technique ; d’ailleurs, après l’avoir évoqué, le roman y renonce sagement, ce qui n’est hélas pas le cas du film.
Il n’y a, au bout du compte, qu’un truc qui m’a agacé : l’américanisme de la conclusion. Certes, l’agence spatiale chinoise a un rôle crucial, mais on peut voir ici un spot de pub pour la Nasa et ce, alors même que les personnages ont été conservés et que le roman expliquait par exemple que Vogel était allemand. Le comble, c’est la mission suivante, entrevue à la fin du film (meuh non c’est pas un spoiler), présentée comme une nouvelle étape de l’exploration américaine alors même qu’il doit y avoir un Chinois dans l’équipe !
Dans l’ensemble, pour les amateurs d’histoires subtiles, sensibles et pleines de bons sentiments, Seul sur Mars sera une expérience d’aridité ; mais j’ai ouï dire que ceux-ci ne sont généralement pas fans de science-fiction à la base. Pour ceux qui s’intéressent aux aventures spatiales, pour les nostalgiques de MacGyver ou les fans de Seul au monde, en revanche, c’est une splendide réussite à voir absolument.