Astérix — le secret de la potion magique

de Louis Clichy et Alexandre Astier, 2018, ****

Bon, com­men­çons par ce qui fâche : quel est le cré­tin qui a déci­dé d’embaucher Clavier pour dou­bler Astérix ? C’était pas suf­fi­sant que ce bou­let ait fait du Clavier sur les films, il faut main­te­nant qu’il s’en prenne aus­si aux des­sins ani­més ? Je veux dire, on a beau faire, il suf­fit de l’en­tendre pour le voire fré­tiller jac­quouille­ment en lisant les répliques d’Astérix, et putain, ça colle pas !!! Une des meilleures déci­sions qu’ont prises Clichy et Astier lorsque, il y a quatre ans, ils ont repris les adap­ta­tions ani­mées du petit Gaulois bou­gon, a été de faire sor­tir Roger Carel de sa retraite. Je com­prends qu’il ne soit pas pos­sible de le faire tra­vailler à chaque fois, mais par exemple, si on veut abso­lu­ment prendre un acteur qui l’a déjà inter­pré­té, Édouard Baer s’en était très bien sor­ti il y a six ans, fai­sant Astérix sans se sen­tir obli­gé de jouer Édouard Baer en permanence.

Non mais je vous assure : j’ai jamais eu cette voix. — image SND

Bien, ceci étant dit, pas­sons au reste du film.

Après une longue période où les adap­ta­teurs se conten­taient de resu­cer des albums (Le domaine des dieux, Astérix chez les Bretons et Astérix et les Normands, Astérix aux jeux olym­piques, Astérix et les Normands (oui, encore), Astérix et Cléopâtre, Astérix le Gaulois, La grande tra­ver­sée…), Astier s’est fen­du d’un truc rare : un scé­na­rio ori­gi­nal. Sauf erreur de ma part, la der­nière fois que ça c’é­tait pro­duit, c’é­tait pour Les douze tra­vaux d’Astérix, je vous laisse véri­fier la date mais sans trop vous dévoi­ler le truc, René Goscinny était encore vivant. 

Nous voi­ci donc, nous spec­ta­teurs, hale­tants et trem­blo­tants, qui regar­dons avec inquié­tude l’af­fiche en posant l’i­né­vi­table ques­tion : Astier a‑t-il réus­si à four­nir un scé­na­rio à la fois res­pec­tueux de la tona­li­té ini­tiale et qui ne verse pas dans le plagiat ?

Et bien… Oui.

Oui ben voi­là, j’ai plus 120 ans, moi, je peux plus gam­ba­der comme avant… — image SND

Goscinny et Uderzo eux-mêmes aimaient par­fois à jouer avec leurs per­son­nages, à modi­fier les fon­da­men­taux de leur série pour sor­tir du sché­ma habi­tuel. Par exemple, les Gaulois ont été enga­gés dans la légion romaine et un grand finale d’al­bum se déroule sans potion magique, juste avec une bonne dose de cou­rage — oui, je parle de la natio­nale bois­son qui se boit tous les jours à cinq heures. Donc, que Panoramix ne soit plus un éter­nel vieux jeune n’est en soi pas une tra­hi­son ; c’est juste une manière de lan­cer l’in­trigue en four­nis­sant la quête (où trou­ver un suc­ces­seur) et un bon lot de gags (un druide, ça se porte pas tout à fait comme un men­hir). C’est aus­si l’oc­ca­sion de creu­ser un peu le per­son­nage, qui est pro­ba­ble­ment le moins appro­fon­di des albums : il a désor­mais une jeu­nesse et le droit de vieillir, dépas­sant de loin le simple « vieux sage bien­veillam­ment moqueur » qu’il a incar­né pen­dant cin­quante-neuf ans.

Ensuite, on retrouve évi­dem­ment les incon­tour­nables de la série, les pois­sons pas frais, les vannes faciles et les jeux de mots sophis­ti­qués ; les gens qui râlent (une petite pas­sion des Astier, du reste), les baffes et les gnons, les stra­té­gies débiles ; les intrigues et mani­pu­la­tions séna­to­riales, les Gaulois du reste des Gaules, l’é­co­lo­gie dis­crète… Comme les ori­gi­naux, le nou­veau scé­na­rio est soi­gneu­se­ment équi­li­bré entre res­pect de la spé­ci­fi­ci­té cultu­relle cel­tique et néces­si­té de faire évo­luer les mœurs : Goscinny avait déjà fait prendre le pou­voir à Bonemine plus d’une fois, Astier pousse jus­qu’à mettre un coin dans le mas­cu­li­nisme drui­dique — qui, pour le coup, n’a rien d’his­to­rique, l’exis­tence de drui­desses étant bien attes­tée, mais c’est logi­que­ment pré­sen­té comme le domaine où les tra­di­tions sexistes ont la vie dure.

La stra­té­gie est simple : à chaque fois qu’on attaque, ils boivent de la potion. Donc, si on attaque suf­fi­sam­ment, ils fini­ront par ne plus en avoir. — image SND

Mais le vrai tour de force d’Astier, c’est qu’il a rele­vé le gant avec brio pour réus­sir dans un domaine où Uderzo lui-même s’é­tait sale­ment pris les pieds dans le tapis : l’hom­mage aux man­gas et comics. Le finale rap­pelle celui de Nausicaä de la val­lée du vent ou les scènes clas­siques de mechas vs monstres, mais c’est ame­né avec finesse pour s’in­té­grer logi­que­ment à l’u­ni­vers asté­rixien, tout en pio­chant un peu chez Merlin l’en­chan­teur en pas­sant. Cela per­met aux auteurs de four­nir une fin explo­sive, ner­veuse, spec­ta­cu­laire, sans pour autant renier tout ce qui a été bâti avant comme le fai­sait Le ciel lui tombe sur la tête.

Sur le plan gra­phique, on retrouve sans grande sur­prise l’a­ni­ma­tion 3D fluide et élé­gante de Louis Clichy, même si le reste de l’é­quipe a lar­ge­ment été renou­ve­lé. Le des­sin ron­douillard d’Uderzo a ain­si pris du relief avec suc­cès, le gra­phisme est soi­gné et équi­li­bré, à la fois tra­di­tion­nel et moderne. Le mon­tage est effi­cace, les pas­sages ris­quant de tour­ner en rond sont pas­sés sous forme de sché­mas accé­lé­rés, le résul­tat coule natu­rel­le­ment sans lon­gueur ni ellipse excessives.

Ouais, on sait, t’es le meilleur. Ben dou­ce­ment sur la frime, hein. — pho­to SND

L’ensemble est donc fort convain­cant. Nous voi­là enfin face à un Astérix ori­gi­nal, res­pec­tueux de l’œuvre ini­tiale mais moder­ni­sé et, avouons-le, kaa­me­lot­ti­sé de ci, de là. Bâtissant sur l’in­no­va­tion gra­phique que fut Le domaine des dieux, Clichy et Astier finissent de s’ap­pro­prier cet uni­vers pour don­ner un film par­fois drôle, par­fois tendre, par­fois bou­gon, par­fois spec­ta­cu­laire, par­fois poé­tique, tou­jours entraînant.