Yakari

de Xavier Giacometti et Toby Genkel, 2019, ***

Je sais pas vous, mais moi, quand j’é­tais minot, je vivais dans la cam­brousse. Je démé­na­geais deux fois par an entre les mon­tagnes et les plaines, je grim­pais aux arbres et aux rochers, je fai­sais la sieste sur le dos du che­val de ma mère, et je com­pre­nais sou­vent mieux les ani­maux des autres espèces que ceux de la mienne.

Vous ima­gi­nez bien que dans ces condi­tions, je dévo­rais conscien­cieu­se­ment les Yakari, des­si­nés par Derib sur des scé­na­rios de Job. Je me sou­viens de la paru­tion du Vol des cor­beaux : je crois que c’est un de mes plus anciens sou­ve­nirs d’être exci­té par l’ar­ri­vée d’un album tout nou­veau dans les rayons — alors que je connais­sais par cœur la liste des treize pre­miers volumes. Je viens de véri­fier : j’a­vais sept ans.

Planche originale de Yakari exposée au Festival d'Angoulême
Tiens, une case par­faite de Derib qui m’a­vait mar­qué étant môme. Ben devi­nez quoi ? En vrai, en pleine taille, brute de plume et pin­ceau, elle est encore plus impres­sion­nante. — pho­to pos­tée sur Instagram

Bon, après, j’ai un peu décro­ché. Passé dix-onze ans, en gros, j’ai décou­vert plein d’autres trucs (dont Buddy Longway bien sûr), et je crois que Le pre­mier galop reste le der­nier que j’ai fait ache­ter à mes parents. Du coup, j’ai com­plè­te­ment mécon­nu l’exis­tence d’une série télé­vi­sée, réa­li­sée par Xavier Giacometti depuis 2005.

C’est le même Giacometti qui, cet été, a lan­cé Yakari sur grand écran, pro­fi­tant subrep­ti­ce­ment d’un bref épi­sode où le gou­ver­ne­ment a acci­den­tel­le­ment auto­ri­sé les ciné­mas à ouvrir. Il était donc inévi­table que j’aille le voir, un peu pour sou­te­nir mon CGR favo­ri, un peu pour voir si cette made­leine-ci se range par­mi les dou­ceurs à la vanille et à la can­nelle que fai­sait ma mère ou avec les bouts de car­ton bour­ra­tif qui vous calent l’es­to­mac quand vous n’a­vez qu’une cor­res­pon­dance de 14 minutes à 22 h 43 en gare d’Avignon.

Alors, véri­fions ça.

Yakari sauve Petit Tonnerre
Un gra­phisme rai­son­na­ble­ment moder­ni­sé, une scène rai­son­na­ble­ment pré­vi­sible. — image Leonine Distribution

Ce Yakari est joli, fluide, agréa­ble­ment réa­li­sé, et le gra­phisme est un com­pro­mis plu­tôt réus­si entre la mode actuelle en ani­ma­tion 3D et le des­sin tra­di­tion­nel de Derib. Il y a bien quelques mou­ve­ments des qua­dru­pèdes qui manquent de natu­rel, mais fran­che­ment ça passe.

D’un autre côté, ce Yakari est très, très sage. Les rebon­dis­se­ments en car­ton sont annon­cés bien à l’a­vance, les per­son­nages manquent de sub­ti­li­té et d’am­bi­guï­té, et les auteurs ne semblent pas vrai­ment avoir cher­ché un deuxième niveau de lec­ture. En par­ti­cu­lier, Giacometti s’est lamen­ta­ble­ment foi­ré sur le rôle de la plume d’aigle, qui est un enjeu dis­cret mais essen­tiel de la quête ini­tia­tique du pre­mier album et qui devient un petit rebon­dis­se­ment arbi­traire et dépour­vu de sens.

En fait, j’ai trou­vé ce film plus doux, moins flip­pant, édul­co­ré en somme. Les albums pou­vaient mon­trer que le monde, c’est pas tou­jours des fleurs et des zani­maux gen­tils ; Le secret de Petit Tonnerre m’a­vait même trau­ma­ti­sé1. Dans Yakari, il est ques­tion de faim, de dépe­çage, de mani­pu­la­tion, de pré­da­tion… Les albums parus ces quinze der­nières années sont plus légers, avec des thèmes moins pro­fonds et un accent plus franc sur l’é­co­lo­gie et la bien­veillance, et le film est sans conteste plus proche d’eux que des ori­gines de la série. En résu­mé, j’ai un peu l’im­pres­sion d’a­voir vu Yakari et grand aigle repris selon les stan­dards nar­ra­tifs du Fils de l’aigle2.

Yakari en famille
La vie quo­ti­dienne des Lakotas est presque tota­le­ment pas­sée à l’as. Dommage. — image Leonine Distribution

Estampillé « à par­tir de 6 ans », le film est donc tout à fait oppor­tun pour qui­conque a effec­ti­ve­ment des mar­mots de six-dix ans à emme­ner au ciné­ma. Mais le scé­na­rio n’a pas le petit côté sau­vage qui pour­rait vrai­ment séduire un public plus âgé. Pour ceux qui recherchent la made­leine de leur enfance, on est loin des décep­tions fer­ro­viaires ; mais par rap­port aux gâteaux de ma mère, ça manque sérieu­se­ment de cannelle.

  1. En même temps, je viens de réa­li­ser que je devais pas avoir sept ans quand je l’ai lu, et j’é­tais déjà pyrophobe.
  2. C’est sans doute logique, le scé­na­riste étant le même.