Robinson Crusoe

de Vincent Kesteloot, 2016, *

Pour faire un bon film pour enfants, il vous faut plu­sieurs choses.

  • Un pré­texte, du genre « la vie tran­quille des ani­maux d’une île déserte est per­tur­bée par le nau­frage d’un étrange mam­mi­fère bipède ».
  • Des per­son­nages sym­pa­thiques, par exemple en grand mal­adroit, une petite bou­boule mais cos­taud, une petite carac­té­rielle, un petit vieux à lunettes…
Tiens, là, comme ça, pour rigoler, dites-moi sur quel continent on est ? - image StudioCanal
Tiens, là, comme ça, pour rigo­ler, dites-moi sur quel conti­nent on est ? — image StudioCanal
  • Des trucs amu­sants, du style « tout le monde a peur du bipède », « ils pour­raient faire un tobog­gan » ou « là, il essaie de galo­per mais le globe se met à tourner ».
  • Un ou plu­sieurs anta­go­nistes, de pré­fé­rence sour­nois et effrayants, comme des chats mal pei­gnés qui aiment man­ger les oiseaux.
  • De l’ac­tion qui rebon­dit, où il se passe plein de choses, un moment où on se demande si les héros vont s’en sor­tir, et un moment où ils s’en sortent grâce au per­son­nage le plus ridi­cule de la bande.
  • Et sur­tout, un deuxième niveau de lec­ture, un truc sur la vie, l’u­ni­vers et tout le reste, une méta­phore de la réa­li­té, une quête ini­tia­tique mar­quant le pas­sage à l’âge adulte, ou n’im­porte quoi de vague­ment appro­chant qui per­mette de don­ner un sens au scénario.

Oui, parce qu’un bon film pour enfant, c’est tou­jours celui qu’un adulte va voir avec plai­sir. Certes, les adultes consi­dé­raient, il fut un temps, qu’il était nor­mal de vague­ment s’en­nuyer devant Cendrillon, mais ce temps-là est depuis long­temps révo­lu et le stan­dard des vingt der­nières années, c’est qu’un film qui ravit les enfants n’est réus­si que si les parents qui accom­pa­gnaient leur pro­gé­ni­ture le recom­mandent à leurs amis. Les exemples de bons films pour enfants ne manquent pas, il suf­fit de regar­der la fil­mo­gra­phie des stu­dios Ghibli, la liste des Pixar des années 2000, ou même cer­tains Disney (non, je compte pas les Pixar par­mi les Disney).

Robinson Crusoe a cinq bons points. Mais il manque dra­ma­ti­que­ment du sixième. Et je ne dis pas par là que le niveau « adulte » manque de sub­ti­li­té, comme dans Kung fu pan­da 3, ou qu’il pue du bec comme dans Rio, non : il n’y en a tout sim­ple­ment pas. Robinson arrive, les chats aus­si, les chats sont de fourbes mani­pu­la­teurs, Robinson est un grand dadais, les ani­maux sont mignons et sym­pa sur­tout la mar­tine-pêcheuse et sa tête de lard, y’a plein de gags et plein d’ac­tion, et c’est tout. Et tout est épou­van­ta­ble­ment mani­chéen, avec des chats et des pirates méchants et fourbes, tous les autres gen­tils et niais.

La famille, c'est mal. - capture de bande-annonce StudioCanal
La famille, c’est mal. — cap­ture de bande-annonce StudioCanal

Le seul truc qui res­sem­ble­rait vague­ment à un mes­sage, c’est l’é­loge du céli­bat : tous les per­son­nages sont soli­taires, dépour­vus à la fois de parents, de conjoints et d’en­fants. Tous, sauf les chats, qui sont un couple puis une famille de vilains sadiques. Je ne suis pas la per­sonne la plus convain­cue par le modèle fami­lial tra­di­tion­nel et la néces­si­té d’ac­croître la popu­la­tion, mais de là à éri­ger la famille en signa­ture du Mal, ça peut étonner.

Techniquement très réus­si, plein de rebon­dis­se­ments et de gags qui fonc­tionnent, à peine amol­li par une séquence de tobog­gan un poil répé­ti­tive au milieu, Robinson Crusoe fonc­tionne bien. Mais le pro­blème, c’est que ce n’est pas un film « à par­tir de trois ans » : c’est un film « de trois à cinq ans », bien pesant pour qui­conque com­mence à acqué­rir un peu d’es­prit critique.