Pan

de Joe Wright, 2015, ***

Dans un orphe­li­nat, en pleine bataille d’Angleterre, un galion volant de Barbe-Noire vient enle­ver des enfants pour les réduire en escla­vage. Parmi ceux-ci, Peter, qui a un médaillon en forme de flûte de Pan, va ren­con­trer un type nom­mé Crochet, avec qui il va rejoindre les peaux-rouges pour ren­ver­ser Barbe-Noire.

Il y a plein de choses assez déce­vantes dans ce Pan. D’abord, il consacre défi­ni­ti­ve­ment la domi­na­tion abso­lue de Disney au détri­ment de JM Barrie : Peter est inno­cent, idéa­liste, malin, et tout le monde est bien casé dans un camp bien déter­mi­né, sans trop de zones grises (tout au plus M. Mouche est-il vague­ment hon­teux d’être méchant par lâche­té). On est très loin de la com­plexi­té et de l’am­bi­guï­té du roman ou de son autre grande pré­quelle, la bande des­si­née de Loisel.

— Je m'appelle Crochet. — Ah bon, pourtant t'as pas de crochet ? —Oui, euh, bon… Ça sera dans le prochain film, voilà. photo Warner Bros
— Je m’ap­pelle Crochet. — Ah bon, pour­tant t’as pas de cro­chet ? — Oui, euh, bon… Ça sera dans le pro­chain film, voi­là. pho­to Warner Bros

Ensuite, tout le monde est d’ac­cord pour dire que Crochet est un sur­nom, don­né après que sa main a été ava­lée par le cro­co­dile ; le trou­ver jeune avec ses deux mains et déjà son nom est donc très, très, très bizarre, sur­tout qu’il est dégui­sé en Indiana Jones. On peut sup­po­ser que les auteurs ont vou­lu pro­fi­ter du per­son­nage, mais ne vou­laient pas le mon­trer estro­pié, ce qui mène au troi­sième point : tout est lisse et gen­til, seul Barbe-Noire arrive à vague­ment sai­gner mais très dis­crè­te­ment (lar­ge­ment moins que votre gosse la der­nière fois qu’il est tom­bé de sa chaise), les morts dis­pa­raissent dans les limbes ou un nuage de fumée colo­rée… La direc­tion d’ac­teurs laisse aus­si beau­coup à dési­rer : Hugh Jackman confirme qu’il a ten­dance à cabo­ti­ner à mort quand on le laisse en roue libre et l’en­semble du cas­ting fait dans le sur-jeu sys­té­ma­tique — ce qui est un peu déce­vant pour cer­tains d’entre eux, en par­ti­cu­lier Rooney Mara qui avait réus­si à rele­ver le défi de pas­ser après Noomi Rapace dans la ver­sion amé­ri­caine de Les hommes qui n’ai­maient pas les femmes et dont j’at­ten­dais bien mieux que cette pâle cari­ca­ture de prin­cesse caractérielle.

Le truc bizarre, c’est que le film n’est pas pour autant tou­jours tendre, et que cer­tains pas­sages sont même fran­che­ment déran­geants en jouant sur des res­sorts psy­cho­lo­giques assez bru­taux — l’a­ban­don, la tra­hi­son, l’exé­cu­tion, etc. Le monde réel est non seule­ment sale et triste (c’est la guerre, tout ça), mais aus­si plein de pièges et de mau­vais trai­te­ments déli­bé­rés. On n’est pas chez Dickens non plus, mais fina­le­ment la vio­lence simple, esthé­tique et assu­mée d’un Kick-Ass me paraît moins per­tur­bante que ce trai­te­ment édul­co­ré de sujets pro­fon­dé­ment dramatiques.

Pirates des Caraïbes rencontre Avatar. photo Warner Bros
Pirates des Caraïbes ren­contre Avatar. pho­to Warner Bros

Après, il y a éga­le­ment plein d’as­pects extrê­me­ment réus­sis. On trouve deux direc­teurs de la pho­to­gra­phie, qui ont bos­sé sur Cinquante nuances de Grey (dont la pho­to est à peu près la seule qua­li­té), X‑Men : le com­men­ce­ment, Robin des bois et autres, et une flo­pée de direc­teurs artis­tiques. Le résul­tat est un pays ima­gi­naire flam­boyant, extrê­me­ment détaillé, plein de petits trucs sublimes et magni­fi­que­ment mis en images, qui peut rap­pe­ler en vrac la jungle de Là-haut, les îles flot­tantes d’Avatar ou les espaces sombres de Pirates des Caraïbes. L’ensemble du film est un enchan­te­ment visuel (enfin, sauf l’Angleterre du début, c’est la guerre), fas­ci­nant, enfan­tin sans être (trop) niais, colo­ré sans être criard, juste assez kitsch pour gar­der une cer­taine classe. Certains pas­sages sont d’une poé­sie qui confine à la magie (l’arbre-mémoire qui raconte une his­toire dans ses cernes par exemple) et les auteurs ne se sont pas gênés pour se payer quelques bons délires bien fun, comme l’en­trée en scène de Barbe-Noire sur une reprise en chœur de Smells like teen spi­rit, qui per­met­tront sans doute d’é­lar­gir le public. Personnellement, j’ai ado­ré l’es­pèce de tram­poei­ra qui sert de duel aux Indiens, par exemple.

Oui oui, je sais, un jour je donnerai son nom à Crochet. En attendant, j'ai faim. photo Warner Bros
Oui oui, je sais, un jour je per­met­trai à Crochet de jus­ti­fier son nom. En atten­dant, j’ai faim. pho­to Warner Bros

Le gros pro­blème de Pan, c’est donc qu’il faut pas­ser outre une liste de grosses fai­blesses (et encore, je n’ai pas par­lé des scènes avec la mère de Peter, d’une miè­vre­rie ver­ti­gi­neuse) pour voir ses bons côtés. C’est dom­mage, parce que les bons côtés ne manquent pas non plus et que l’en­semble forme un récit d’a­ven­tures oni­riques tout à fait dis­trayant, voire fran­che­ment fen­dard par moments. Et quand je fais le bilan, j’ai pas­sé une heure cin­quante où je me suis bien amu­sé, mais je sais pas si je dois recom­man­der ce navet.