▶Play

d’Anthony Marciano, 2020, ****

Max voit appro­cher la qua­ran­taine. Et, comme beau­coup de gens, c’est l’oc­ca­sion pour lui de faire un petit bilan. Il décide donc de replon­ger dans ses tiroirs pour revoir toutes les bandes qu’il a tour­nées, depuis que, à 13 ans, sa mère lui a offert un camé­scope. De ses pre­mières vidéos de la vie quo­ti­dienne avec ses parents à ses pre­miers courts-métrages avec effets spé­ciaux, des râteaux fil­més en direct par les potes à l’en­tas­se­ment de la foule sur les Champs-Élysées un soir de 98, des boîtes de nuit uni­ver­si­taires à la vie quo­ti­dienne avec sa femme et sa gosse.

Pas de doute, c’est un film d’hor­reur. — pho­to Mars Films

Anthony Marciano et Max Boublil reprennent un prin­cipe clas­sique : le found foo­tage, vous savez, « on a trou­vé des vidéos, on les regarde, qu’est-ce qu’elles vont bien mon­trer ? » Ce style est très sou­vent uti­li­sé dans les films d’hor­reur : c’est une astuce facile pour pré­ser­ver le sus­pense, en lais­sant le spec­ta­teur ima­gi­ner que le héros n’a pas for­cé­ment sur­vé­cu. Pensez à Cannibal holo­caust, au Projet Blair Witch, à The last hor­ror movie, à l’in­ter­mi­nable série des Paranormal acti­vi­ty et à Cloverfield, par exemple. D’ailleurs, à pre­mière vue, il serait natu­rel de pen­ser que ️▶Play est la suite de [⏺Rec].

Du coup, à la fin de l’a­vant-pre­mière, j’a­vais très envie de leur deman­der s’ils consi­dé­raient la vie ordi­naire d’un ado­les­cent puis d’un jeune adulte comme un sujet d’épouvante.

Ici, le found foo­tage n’a en effet pas pour but de sou­te­nir le sus­pense. C’est d’a­bord une logique nar­ra­tive, le héros se repen­chant sur tous ces petits moments magiques de son exis­tence. C’est ensuite une recette de made­leine : cette astuce per­met aux auteurs de nous faire revoir les années 90 et 00 comme on les a vues à l’é­poque. Avec la même qua­li­té d’i­mage, le même point de vue par­fois hési­tant et trem­blo­tant au fil des verres 1, et du coup la même ambiance pleine d’es­poirs et de désillusions.

Ça me parais­sait impor­tant, alors je me suis fil­mé la pre­mière fois où j’ai appe­lé Emma. — pho­to Mars Films

La bande-son, les sujets d’ac­tua­li­té, la façon de par­ler, les coif­fures et les vête­ments, tout ren­voie évi­dem­ment à l’é­poque. On se sur­prend d’ailleurs plus d’une fois à se deman­der ce qui sort d’un tiroir d’ar­chives et ce qui a été re-tour­né récem­ment (il y a tout de même par­fois des indices : Chabat était plus jeune en 1993). La ques­tion est d’au­tant plus légi­time que, de l’a­veu des auteurs, le film uti­lise par­fois des images d’é­poque et mélange leurs anec­dotes et sou­ve­nirs réels pour construire une trame com­plète cré­dible. Les acteurs font un bou­lot remar­quable qui par­ti­cipe tota­le­ment à l’im­mer­sion du spec­ta­teur et à l’im­pres­sion de revoir sa propre jeu­nesse — même si, pour ma part, j’é­tais assez loin des sou­cis pari­siens de l’époque.

Ancré dans son temps, ▶Play s’a­dresse très clai­re­ment aux mil­lé­si­més 1975 à 1985, en gros. Ceux qui ont décou­vert la poli­tique avec Mitterrand mais s’y sont inté­res­sés en votant Chirac (volon­tai­re­ment ou non), ceux qui ont rem­pli des dos­siers Erasmus pour pas­ser un an à Barcelone ou à Berlin, ceux qui ont échap­pé de jus­tesse au ser­vice mili­taire2 mais ont encore pu pas­ser un DEUG, ceux qui ont rou­lé leurs pre­mières pelles sur Come as you are et foi­ré leur année après une rup­ture sur Passive aggres­sive.

Sérieux, t’as rien de mieux à faire que de fil­mer notre gueule au réveil ? — pho­to Mars Films

Oui, mais.

Mais les réac­tions de la salle montrent qu’il dépasse lar­ge­ment cette cible. Les sexa­gé­naires y trouvent leur compte : si le cadre est très pré­cis, le fond est assez uni­ver­sel. Il s’a­git de la décou­verte de la vie, des hési­ta­tions, des espoirs, des joies et des drames qui font pas­ser de la quin­zaine à la qua­ran­taine. Il s’a­git de toutes les occa­sions man­quées, des mal­adresses, des timi­di­tés, des cou­rages et des suc­cès inat­ten­dus, dans les études, les amours, le tra­vail et l’é­du­ca­tion de la géné­ra­tion sui­vante. Il s’a­git des gens per­dus de vue à qui l’on repense tou­jours vingt ans après, de ceux qu’on a oubliés, de ceux à qui l’on conti­nue à envoyer des mes­sages de temps en temps, de ceux qui tournent les pages et de ceux qui conti­nuent à écrire sur la même. Il s’a­git des moments où l’on fait le bilan en se deman­dant : « Et si j’a­vais fait ça ? » et « Et si je fai­sais ça ? »

Et cela, c’est une expé­rience humaine de base, qui ne se limite pas aux actuels (pré-)quadragénaires.

Filme, ma bru, filme : aujourd’­hui, mon fils apprend à chan­ger une couche. — pho­to Mars Films

Les migrai­neux et les nau­séeux auront peut-être un peu de mal avec la forme et la prise de son de cer­tains pas­sages, conformes à l’am­biance du moment. Mais pour les autres, ▶Play sera sans doute une excel­lente sur­prise, bien plus humaine, com­plète et tou­chante que son approche « comé­die ado­les­cente » pour­rait le lais­ser pen­ser au pre­mier abord.

  1. La pro­chaine géné­ra­tion ne sau­ra jamais ce qu’elle doit à la sta­bi­li­sa­tion d’image.
  2. Et celles qui ont essuyé les plâtres de la JAPD.