Galveston

de Mélanie Laurent, 2018, ****

Il est tou­jours déli­cat de parier sur l’a­ve­nir. Mais ima­gi­nons une seconde que nous soyons en 2060. Mélanie Laurent, 77 ans, est une réa­li­sa­trice recon­nue qui convainc aus­si bien la cri­tique que le public avec des films noirs déses­pé­rés, des per­son­nages durs et des héros tra­giques. Quelqu’un fait un bilan sur sa car­rière en pre­nant le pre­mier paral­lèle qui lui vient à l’es­prit, un autre acteur célèbre / réa­li­sa­teur secon­daire deve­nu un maître de la nar­ra­tion dont on dit par­fois « il a aus­si été acteur » : Clint Eastwood.

Dans cet article, un inévi­table inter­titre : « Impitoyable à 35 ans ! »

Voilà, c’est mon impres­sion à la sor­tie de la salle : Galveston pour­rait bien être à Mélanie Laurent ce qu’Impitoyable fut à Clint Eastwood, le film où l’ac­teur-deve­nu-réa­li­sa­teur, un peu can­ton­né à des œuvres sym­pas mais oubliables, explose en réin­ven­tant un genre ultra-clas­sique — le wes­tern pour l’an­cien, le film noir pour la nouvelle.

Le mafio­so en quête de rédemp­tion, incon­tour­nable du genre. — pho­to Les Bookmakers

Tout ça pour dire que j’ai aimé. Sur le papier, c’est pour­tant l’his­toire très clas­sique d’un mal­frat qui, à l’ap­proche du juge­ment der­nier, se barre avec une jeune pau­mée croi­sée en route qui lui ser­vi­ra de rédemp­tion. Taxi dri­ver, Léon, les réfé­rences poten­tielles sont nom­breuses et pas super originales.

Ce qui per­met à Galveston de dépas­ser son sta­tut de thril­ler/­road-movie, c’est d’a­bord son duo. Foster sert par­fai­te­ment son assas­sin mafieux en fin de vie, cra­chant ses pou­mons mais cher­chant à arran­ger les choses avant son départ. Fanning, dési­gnée petite chose fra­gile dans les pre­mières scènes, révèle un fond plus mani­pu­la­teur et plus fort qu’at­ten­du. Les rela­tions entre les deux sont évi­dem­ment au cœur de l’in­trigue, mais ça n’empêche pas quelques per­son­nages secon­daires de dépas­ser le rôle de décor : les femmes du motel, en par­ti­cu­lier, ont fina­le­ment une réelle impor­tance. C’est aus­si le bou­lot de Nick Pizzolato qui fait mer­veille : si la nar­ra­tion reste ici chro­no­lo­gique, l’am­biance noire et les dia­logues posés rap­pellent le début de True detec­tive et il nous épargne le finale un peu raté de la série pour, cette fois, nous ame­ner sans pitié jus­qu’à une vraie fin, logique et tra­gique à souhait.

Je suis un petit cha­ton. Ah, et les cha­tons, ça a des griffes, aus­si. — pho­to Les Bookmakers

Arnaud Potier, direc­teur de la pho­to­gra­phie, est indu­bi­ta­ble­ment un des grands auteurs de ce film : de scène en scène, d’am­biance en ambiance, des arrière-salles de bis­trots sor­dides de La Nouvelle-Orléans aux splen­dides plages texanes, il joue avec la lumière et les tona­li­tés pour col­ler au scé­na­rio avec déli­ca­tesse et bru­ta­li­té. Il s’ac­corde par­fai­te­ment à la réa­li­sa­tion du film, qui oscille constam­ment entre dou­ceur et rudesse, s’é­nerve dans les séquences d’ac­tion et prend le temps de se poser pour nous lais­ser res­pi­rer, et suit ses per­son­nages avec une sorte d’im­pi­toyable ten­dresse de leur ren­contre jus­qu’à leur fin.

Quelques grammes de ten­dresse dans un monde de brutes. — pho­to Les Bookmakers

Superbement écrit, splen­di­de­ment fil­mé, géné­reu­se­ment joué, Galveston conclut fort près du sans-faute et ne souffre que d’une ultime scène un poil facile qui rend mal­adroi­te­ment expli­cite un énorme détail qu’il eût été bon de lais­ser dans le sous-enten­du. Pas de quoi gâcher un excellent film noir qui, sous un fond très clas­sique, s’a­vère convain­cant d’un bout à l’autre.