L’économie du couple

de Joachim Lafosse, 2015, ***+

C’est le por­trait d’une fille de petite bour­geoi­sie qui a ache­té un local et rap­porte un salaire, et d’un plus ou moins archi­tecte qui a trans­for­mé ce local en appar­te­ment à la sueur de son front mais n’a pas de reve­nu régu­lier. Tout ça, au moment où ils se séparent mais coha­bitent en atten­dant qu’il trouve des reve­nus pour se loger ailleurs.

Pas vrai­ment d’his­toire pour cette tranche de vie : la situa­tion est ins­tal­lée au début du film et se pour­suit qua­si­ment jus­qu’à son bou­clage. C’est une suc­ces­sion de scènes mon­trant la com­plexi­té de la coha­bi­ta­tion d’un ex-couple où le mépris réci­proque a pris le des­sus sur l’af­fec­tion. Il la consi­dère, non sans argu­ment, comme une petite bourge qui doit tout à l’argent et ne recon­naît pas son tra­vail ; elle le voit, et son rai­son­ne­ment se tient, comme un gros lourd vague­ment bran­leur qui squatte sans vrai­ment cher­cher d’en­droit à lui ; il ne sup­porte plus sa volon­té de tout contrô­ler et son manque de sou­plesse, elle mau­dit sa désor­ga­ni­sa­tion et ses pro­messes non tenues.

Et évi­dem­ment, comme quand on s’est aimé et qu’on coha­bite, il y a ces moments bru­taux où une forme de com­pli­ci­té renaît, où l’en­vie resur­git au détour d’un sou­ve­nir, où on remet le cou­vert conne­ment juste pour le plai­sir de tout com­pli­quer en s’a­per­ce­vant que ça, ça marche encore.

C’est bien fou­tu, c’est du grand ciné­ma-véri­té bien por­té par un qua­tuor d’ac­teurs assez magique — il serait injuste de ne pas men­tion­ner les jumelles du couple, qui occupent l’é­cran autant que leurs parents et ont leur lot de répliques qui marchent. C’est tou­chant, émou­vant, affli­geant, beau et triste comme une rupture.

— Eh, Bérénice, il est beau notre film, hein ? — Oui Cédric, mais il est aussi un peu chiant non ? photo Fabrizio Maltese
— Eh, Bérénice, il est beau notre film, hein ?
— Oui Cédric, mais il est aus­si un peu chiant non ?
pho­to Fabrizio Maltese

Mais…

Mais, d’une part, la direc­tion d’ac­teurs est assez inégale. Marthe Keller est sou­vent juste un peu à côté du rôle, et même Cédric Kahn donne une fois ou l’autre l’im­pres­sion de réci­ter son texte.

Mais, d’autre part, si l’en­semble ne manque pas de finesse, la mise en place est d’une pesan­teur effrayante — la scène du dîner dans le jar­din est abso­lu­ment hor­rible, tom­bant tota­le­ment à plat par la force de répliques lourdes et d’un rythme casse-gueule.

Mais, enfin, il y a un vrai pro­blème de rythme et de tona­li­té, cer­taines séquences étant trop tirées en lon­gueur. La scène où les gamines dansent est impor­tante, son début est bien, sa fin est essen­tielle, mais le milieu semble cal­cu­lé pour faire l’ef­fet d’un Derrick sous Imovane.

Du coup, mal­gré des moments abso­lu­ment sublimes et une très belle impres­sion d’en­semble, reste éga­le­ment le sen­ti­ment dif­fus de s’être un peu fait chier çà et là.