Desierto
|de Jonás Cuarón, 2015, ****
Le tir sportif sur cible mobile est une discipline qui exige à la fois précision et rapidité d’exécution. Il faut une main posée, détendue mais vive, capable de suivre un mouvement à la volée sans se crisper sur la détente. Autant d’exigences incompatibles avec une consommation d’alcool, qui ralentit les réflexes, accroît l’émotivité et nuit à l’exactitude.
C’est tout le problème de Sam, qui s’entraîne à tirer des Mexicains dans le désert à la frontière : plus il boit, plus il rate. Du coup, il y a plein de chicanos qui parviennent à lui échapper et qui pourraient parvenir à se retourner contre lui ou, pire encore, à contacter les gardes-frontières pour le dénoncer. Heureusement, son chien ne boit pas et l’aide efficacement à lutter contre la vermine hispanophone.
Oui, je sais, tout le monde vous dira que c’est l’histoire d’un groupe de Mexicains pris pour cible par un tireur américain. Mais je trouve ça amusant de retourner un film de temps en temps, pas vous ?
Il faut dire qu’en vérité, les deux points de vue sont présentés quasiment à égalité : le petit Cuarón suit équitablement le groupe d’aspirants immigrants et le redneck qui veut les buter. Il ne prend pas parti et, en fait, ne creuse pas spécialement les motivations des uns et des autres ; tout au plus saura-t-on qu’une des immigrantes a été mise dans le camion du passeur par ses parents effrayés par les dangers de la vie mexicaine, et que le poivrot américain considère que « c’est mon territoire ! » et qu’il le protège contre une menace.
En fait, loin de la politique, le film se concentre sur la traque, alternant le point de vue des proies qui essaient de s’échapper et du prédateur qui tente de les attraper.
Ah, et il y a aussi le troisième parti, ce putain de désert, qui essaie de tuer tout le monde avec ses propres armes — la chaleur, les cactus, les serpents à sonnettes et les mesas aux rochers instables.
Le scénario est minimaliste, ceux qui ont déjà mis les pieds en montagne noteront quelques absurdités (notamment des détours inutiles et des positions géographiques qui ne collent pas vraiment d’un plan à l’autre), la direction d’acteurs est un peu inégale, mais on s’en fout : ce survival aride repose sur l’ambiance, un suspense haletant et deux-trois touches de gore bien brutal délicatement balancées aux moments opportuns — si vous avez l’estomac fragile, vous aurez sans doute fermé les yeux dans les cactus, et c’est tant mieux parce que la minute qui suit est un sommet du cinéma d’horreur.
Chercher un message serait bien ambitieux, à part peut-être « l’alcool c’est mal » et « regarde la route quand tu conduis ». Antithèse de La main droite du diable et autres verbosités du genre, Desierto ressemble bien plus à Predator ou à Duel : un point de départ, aucune justification, juste une ambiance qu’on déroule habilement. Mais en nous présentant également le camionneur, pardon, l’assassin, Cuarón donne à son film un équilibre qui manquait au petit Spielberg, et ce qui pourrait passer pour un exercice de style gratuit se transforme en vrai bon thriller efficace.