Triple 9

de John Hillcoat, 2016, ****

Il y a des films qui sont construits sur une his­toire directe, avec une uni­té d’ac­tion et de temps ; il y en a d’autres qui évo­luent pro­gres­si­ve­ment d’une scène à l’autre. Il y en a, enfin, qui sont bâtis comme un opé­ra, avec des actes bien sépa­rés ayant cha­cun sa tona­li­té et son ambiance. Triple 9 fait par­tie de ceux-ci, avec une construc­tion en trois temps dif­fé­rents. Cette forme clas­sique ne l’empêche pas de s’of­frir une par­ti­cu­la­ri­té : ici, la mise en place se fait au deuxième acte, afin de relan­cer le film sur des pistes dif­fé­rentes de celles annon­cées dans l’ouverture.

Qui est le crétin qui a allumé un fumigène ? - photo Mars Distribution
Qui est le cré­tin qui a allu­mé un fumi­gène ? — pho­to Mars Distribution

Le pre­mier tiers est un film de bra­quage fran­che­ment clas­sique : un casse ron­de­ment mené par des pro­fes­sion­nels aguer­ris, qui savent exac­te­ment ce qu’ils font et ont par­fai­te­ment orga­ni­sé leur opé­ra­tion. C’est vif, direct, ner­veux et calme à la fois, le réa­li­sa­teur maî­trise son sujet autant que les mal­fai­teurs leur hold-up, et le plan se déroule presque sans accroc, un peu comme dans la pre­mière moi­tié de L’homme de l’in­té­rieur.

L’acte II est donc une mise en place, évi­dem­ment plus lente, qui dévoile moti­va­tions et objec­tifs des gang­sters tout en sui­vant l’en­quête sur le pre­mier hold-up. Ce que l’on perd en rythme, on le gagne en ten­sion, l’am­biance se construi­sant peu à peu au fur et à mesure que le scé­na­rio de la conclu­sion se des­sine et que le plan s’as­semble ; cette por­tion lorgne éhon­té­ment du côté de Heat, mais c’est pour la bonne cause (et il y a pire réfé­rence en matière de rythme et d’ambiance !).

Pleure plus, Teresa, c'est fini. Maintenant, on sait que t'es actrice, t'auras plus jamais à refaire un Point break. - photo Mars Distribution
Pleure plus, Teresa, c’est fini. Maintenant, on sait que t’es actrice, t’au­ras plus jamais à refaire un Point break. — pho­to Mars Distribution

La chute, enfin, met en place le scé­na­rio pré­sen­té préa­la­ble­ment, avec ses variables, ses incon­nues et ses impré­vus ; les dilemmes se résolvent, les enquêtes avancent, et cet acte mêle en fait action par­fai­te­ment chro­no­mé­trée façon acte I et ambiance ten­due, nœuds gor­diens et ambi­tions contra­dic­toires de l’acte II.

L’ensemble ne sort jamais des codes du polar et ne pré­tend pas être autre chose, mais c’est un peu un « méta-polar » qui réunit plu­sieurs sous-genres — film de casse, enquête poli­cière, ini­tia­tion du jeune flic qui débarque, film de mafia, thril­ler psy­cho­lo­gique, film de ripoux… et même quelque part « sur­vi­vor » façon Les dix petits nègres. Le scé­na­rio n’est pas d’une ori­gi­na­li­té folle, mais il est assez bien fice­lé pour convaincre et ser­vi par des acteurs sobres et impli­qués, une réa­li­sa­tion effi­cace et une maî­trise abso­lue du rythme et de l’am­biance d’un bout à l’autre. Le résul­tat est donc un excellent polar, par­fai­te­ment adap­té aux ama­teurs du genre.