Creed

de Ryan Coogle, 2015, **

J’ai un gros dilemme : dois-je consi­dé­rer Creed comme un remake, une suite ou un pro­duit dérivé ?

Au fond, c’est simple : un jeune boxeur qui veut faire ses preuves convainc un ancien cham­pion un peu con et un peu bla­sé de l’en­traî­ner ; puis un cham­pion du monde en mal de publi­ci­té lui offre l’oc­ca­sion de venir cher­cher la cein­ture, et le chal­len­ger par­vient mal­gré un han­di­cap tech­nique cer­tain à tenir jus­qu’au bout du match. En cela, la pre­mière moi­tié est un remake de la pre­mière moi­tié de Rocky V, l’en­jeu fami­lial en moins (Junior est par­ti au Canada, mais appa­rem­ment même Rocky s’en fout), et la seconde moi­tié est un remake de l’en­semble de Rocky.

Au moins, les acteurs bougent comme des boxeurs. - photo MGM et Warner bros
Au moins, les acteurs bougent comme des boxeurs. — pho­to MGM et Warner bros

Mais on peut éga­le­ment pen­ser que c’est l’his­toire de Rocky, vieux, sans famille, bla­sé et prêt à mou­rir, qui finit par remon­ter la pente après qu’un jeune boxeur l’a convain­cu de l’en­traî­ner ; et là, c’est une suite de Rocky Balboa. Enfin, c’est de toute évi­dence l’his­toire d’un nou­veau boxeur appe­lé à faire d’autres films, et je vous parie que dans deux ans il refait un match pour la cein­ture ; c’est donc un pro­duit déri­vé pilo­té par le marketing.

Une chose est en tout cas cer­taine : Creed est un pro­duit extrê­me­ment effi­cace, bien plus tra­vaillé qu’au­cun des Rocky. Rien n’a été lais­sé au hasard, ni sur le plan du scé­na­rio (qui y va un peu lour­de­ment sur la pater­ni­té, les vieux qui vieillissent, les regrets, tout ça, mais c’est dans la lignée du pré­cé­dent), ni sur le plan tech­nique. Le mon­tage est soi­gné, la pho­to impec­cable (Maryse Alberti, qui avait déjà fil­mé le superbe The wrest­ler), et même la direc­tion d’ac­teurs est plu­tôt réus­sie. Les scènes de boxe ont été un peu moder­ni­sées et si le gim­mick de la pré­sen­ta­tion façon télé­vi­sion est uti­li­sé un peu trop sys­té­ma­ti­que­ment, l’im­mer­sion et le réa­lisme des coups sont appréciables.

Rocky dans son camion, l'un des innombrables clins d'œil à la série originale. - photo MGM et Warner Bros
Rocky dans son camion, l’un des innom­brables clins d’œil à la série ori­gi­nale. — pho­to MGM et Warner Bros

Mais c’est aus­si un pro­duit par­fai­te­ment cali­bré, et ça se sent. Malgré leur naï­ve­té fla­grante, Rocky, Rocky II et Rocky Balboa avaient l’in­té­rêt de la sin­cé­ri­té : on sen­tait que Stallone, scé­na­riste et par­fois réa­li­sa­teur, y avait mis du cœur, et qu’il avait vou­lu inté­grer à son per­son­nage des valeurs et un sens. Ce n’est plus vrai­ment le cas de Creed, der­rière lequel on sent plu­tôt une machine hol­ly­woo­dienne bien hui­lée qui sait exac­te­ment quelle cible elle vise, mul­ti­plie les clins d’œil pour les fans (ah, cette musique ori­gi­nale qui pla­gie sans ver­gogne Gonna fly now et Eye of the tiger !) et intègre tous les élé­ments pour ratis­ser le plus large possible.

Les pre­miers Rocky avaient un peu la tenue de tomates du pota­ger que vous cueillez vous-mêmes sur l’ar­buste : un peu moches, un peu irré­gu­lières, avec par­fois des insectes à l’in­té­rieur, mais avec un vrai goût de tomate mûre. Creed est une tomate indus­trielle à la forme et à l’hy­giène irré­pro­chable, avec le goût simple et pauvre de la tomate cueillie deux jours avant matu­ra­tion pour sup­por­ter le voyage : c’est pas mau­vais et on n’a rien à lui repro­cher, mais ça manque de corps et ça laisse vague­ment sur sa faim.