Plemya
|de Myroslav Slaboshpytskiy, 2014, ***
Sur le fond, cette histoire de tribu (плем’я en ukrainien) n’a rien de spectaculairement original : c’est la descente d’un gamin débarquant dans une nouvelle école. L’internat est laissé aux mains des caïds, qui jouent à la baston, picolent, font le mur pour louer les filles de l’école aux routiers de passage, tout ça. Le petit nouveau fait ses preuves, devient mac, commence à s’amouracher d’une des filles, ne veut plus qu’elle visite les camions, enfin vous voyez le truc : de Mauvaises fréquentations à Jeune & jolie, la prostitution adolescente est un sujet récurrent pour un cinéaste cherchant à attirer l’attention à peu de frais, et le type qui ne veut plus qu’une fille se vende est un sujet tellement neuf que Sting en a fait une chanson à l’époque où il n’était que le chanteur d’un petit groupe qui débutait.
Sur le plan formel, Plemya ne fait pas non plus preuve d’une virtuosité particulière. Et au cas où vous auriez un doute, c’est bien une litote pour éviter d’être blessant. La photo est d’une morne banalité, le montage enchaîne les scènes à un rythme convenu souvent un peu mollasson, et surtout le cadrage est d’une platitude spectaculaire : pour un plan-séquence dynamique où la caméra suit efficacement les acteurs (dont le tout dernier, splendide de rentre-dedans), il y en a trois où elle est posée dans un plan large approximatif pendant qu’ils papotent ou font leurs trucs tranquillement.
Heureusement, le film a un détail inhabituel qui le sort de l’ordinaire : ses acteurs.
La particularité de Plemya, c’est de se dérouler dans une école pour sourds-muets. Personne dans le casting n’est à ma connaissance capable de parler, et le film ne compte en tout cas pas un mot prononcé — même les routiers se contentent de faire signe de venir et de donner l’argent pour confirmer la passe. Le réalisateur en profite pour éliminer toute musique, un parti-pris osé que je n’avais pas vu depuis Bloody sunday et qui repose agréablement les tympans (et c’est bien le moment de les laisser récupérer : J.J. Abrams et John Williams sortent un film mercredi). La bande-son est ainsi garantie 100 % naturelle, à base de mains qui frappent, de contacts divers, d’outils qui vibrent ou de camion qui recule.
Si la réalisation est franchement morne, c’est là que se trouve le seul point réellement virtuose de l’œuvre : la construction des séquences, les échanges, les dialogues et surtout les attitudes et mimiques des acteurs font qu’on arrive à se plonger dans l’histoire, malgré l’absence de texte intelligible. Tout cela, avec naturel, sans l’exagération façon mime des films muets, sans l’effort de faire comprendre à des gens qui n’ont pas l’habitude d’observer.
Le résultat est donc assez paradoxal : le film est étonnamment prenant, mais il le doit à notre manque d’habitude plutôt qu’à de réelles qualités cinématographiques. Ce n’est objectivement pas un très bon film, mais il a trouvé un moyen efficace pour déstabiliser et accrocher le spectateur d’un bout à l’autre.