L’homme irrationnel

de Woody Allen, 2015, ****

Woody aime les films un peu ver­beux, voire fran­che­ment intel­los. Cette fois-ci, il s’at­taque à un pro­fes­seur de phi­lo : on pour­rait donc craindre la double dose de prise de tête, de dia­logues abs­cons et de réflexions fati­gantes. Ce n’est heu­reu­se­ment pas le cas, Woody ayant pris la peine de faire un vrai scé­na­rio avec une vraie évo­lu­tion entre un point de départ et un but final ; même s’il pré­vient que la phi­lo­so­phie, c’est tou­jours une forme d’o­na­nisme céré­bral, il évite ain­si l’é­cueil de l’in­tel­lo pour l’intello.

Où suis-je ? Où vais-je ? Pourquoi vis-je ? photo Sabrina Lantos/ Gravier productions
Où suis-je ? Où vais-je ? Pourquoi vis-je ? pho­to Sabrina Lantos / Gravier productions

L’homme irra­ton­nel est-il, pour autant, une simple comé­die de mœurs comme Whatever works ? Non. En fait, il repose sur trois pro­blèmes clas­siques de la phi­lo­so­phie : la morale du meurtre (doit-on tuer une per­sonne pour en sau­ver plu­sieurs ?), le sens de la vie (à quoi bon tout ça ?), et la ten­ta­tion du fan­tasme (doit-on cou­cher avec une rousse qui pour­rait être notre fille ?). Avec, bien sûr, une petite touche de l’ob­ses­sion tra­di­tion­nelle de Woody : un homme, deux femmes, un choix rai­son­nable, un fan­tasme ; une femme, deux hommes, un choix rai­son­nable, un fan­tasme — et suivre sa tête ou ses gonades ?

Un couple parfait ? Ça peut pas durer. photo Gravier Productions
Un couple par­fait ? Ça peut pas durer. pho­to Gravier Productions

La réa­li­sa­tion n’a rien de remar­quable, la ges­tion du rythme est clas­sique, et comme sou­vent chez Woody Allen ce sont les acteurs qui portent le film. Ce qui est plu­tôt une bonne nou­velle, le duo Phoenix/Stone fonc­tion­nant plu­tôt bien : ils campent par­fai­te­ment leurs intel­los qui réflé­chissent un peu trop et font pas­ser des dia­logues un poil trop écrits — et je ne parle pas des voix off, fran­che­ment lit­té­raires. Au pas­sage, je pense qu’un jour, on fera le bilan de l’œuvre de Woody, et on se ren­dra compte qu’il aura été un réa­li­sa­teur juste pas­sable et un dia­lo­guiste brillant mais inca­pable de rendre le lan­gage oral, sau­vés par un excellent direc­teur d’ac­teurs et un direc­teur de cas­ting extraordinaire.

L’autre qua­li­té du film, c’est bien sûr qu’en oscil­lant entre comé­die roman­tique et poli­cier, il s’offre une res­pi­ra­tion inat­ten­due qui per­met de réveiller l’in­té­rêt au moment où il aurait ris­qué de tour­ner en rond. Du coup, l’en­semble est fran­che­ment dis­trayant, assez agréable, un peu intel­lo mais pas prise de courge.