Les nouveaux chevaliers du ciel

de Jean-Michel Charlier, 1987–1990, ****

Vingt ans après Les che­va­liers du ciel, quel­qu’un s’est dit qu’il serait temps de refaire une adap­ta­tion des Aventures de Tanguy et Laverdure. « Du pas­sé, fai­sons table rase » : c’est une toute nou­velle série, qui repart de zéro (l’é­cole de chasse), qui est à nou­veau créée par Jean-Michel Charlier — dont ce sera l’une des der­nières œuvres : il meurt à l’é­té 1989, entre les deux saisons.

Charlier a pris de la bou­teille et, sur­tout, il s’ad­joint cette fois les ser­vices de spé­cia­listes : Bernard Chabbert, jour­na­liste aéro­nau­tique et pilote de longue date, inter­vient sur les scé­na­rios et les dia­logues. Le public visé est plus adulte qu’en 1967, plus connais­seur sans doute, et l’é­poque a évo­lué ; on peut donc mon­trer un peu plus de choses, sur le plan tac­tique comme sur le plan humain (y’a même quelques seins qui passent dévê­tus, chose inima­gi­nable dans la jeu­nesse de Christian Marin). Beaucoup, beau­coup plus réa­liste que la pre­mière série, Les nou­veaux che­va­liers du ciel est aux Chevaliers du ciel ce que la tri­lo­gie Alerte ato­mique est à Les Japs attaquent : le scé­na­riste a beau­coup mûri et ne four­nit pas juste une série d’ac­tion, mais un vrai tra­vail docu­men­taire et narratif.

« Remise de gaz selon pro­cé­dure… 180 nœuds, je vire au cap 150. » Toute l’é­mo­tion d’une pilote entraînée.

L’évolution des per­son­nages suit évi­dem­ment ce chan­ge­ment : Tanguy oublie le boy-scout par­fait et irré­pro­chable que l’on connais­sait sous de Gaulle pour deve­nir un peu plus dra­gueur et cabo­chard, et Laverdure sort de son rôle de dan­dy obsé­dé et gaf­feur pour deve­nir un vrai pilote. On lui adjoint une sœur, qui logi­que­ment cra­que­ra pour Tanguy, mais leur idylle est plus com­plexe et bor­dé­lique que les amours par­faites de Jacques Santi : il y a des hési­ta­tions, des ten­ta­tions, des rup­tures et des rabi­bo­chages mal­adroits. Elle est sur­tout pilote, chose encore rare dans les années 80, qui per­met par­fois de mon­trer que les mâles ne sont pas les seuls à maî­tri­ser leur sujet : lors­qu’un héli­co largue des bombes sous le nez de son Airbus en finale, c’est elle qui est pilote en fonc­tion et qui remet les gaz sans crise ni panique ; ça change des femmes fra­giles et déco­ra­tives des années 60 et, quelque part, ça pré­fi­gure l’ar­ri­vée de chas­se­resses hau­te­ment com­pé­tentes comme Pitbull dans le film de Pirès et Starbuck dans Battlestar Galactica.

L’armée a éga­le­ment mis les moyens et les scènes aériennes sont nom­breuses et plu­tôt bien faites. On savou­re­ra évi­dem­ment l’é­change fran­co-suisse, qui per­met de pas­ser un moment sur Northrop F‑5 et Pilatus PC‑6 dans les superbes envi­rons de lac de Brienz et du champ de tir de l’Axalp : si la qua­li­té d’i­mage n’est évi­dem­ment pas extra­or­di­naire (sur­tout quand, comme c’est mon cas, on a repi­qué sur du VHS), ça reste un magni­fique moment aérien. C’est éga­le­ment l’oc­ca­sion d’un aper­çu assez bien fichu de l’ar­mée suisse et des dif­fé­rences entre les pro­cé­dures locales et les nôtres : ter­rains ouverts, pas de sépa­ra­tion entre civils mobi­li­sés et per­son­nels de l’ar­mée, et un sabir fran­co-ger­ma­no-ita­lien en guise de code radio.

Voler entre les montagnes dans la poisse : la Suisse, ça se mérite.
Voler entre les mon­tagnes dans la poisse : la Suisse, ça se mérite.

La pre­mière sai­son (pro­duite en 1987 et dif­fu­sée début 1988) se conclut éga­le­ment sur une opé­ra­tion de sûre­té aérienne : l’in­ter­cep­tion d’un avion ne don­nant plus signe de vie. Loin des scé­na­rios rocam­bo­lesques habi­tuels chez Charlier jeune, cet épi­sode est beau­coup plus proche de la réa­li­té, avec des enjeux plus dra­ma­tiques : doit-on abattre un avion qui, après avoir plus ou moins tour­né en rond sur pilote auto­ma­tique, risque de s’a­battre à bout de car­bu­rant en région pari­sienne, alors que ses occu­pants n’ont rien d’a­gres­seurs mais sont de simples civils évanouis ?

Cette bonne impres­sion est lar­ge­ment miti­gée dans la deuxième sai­son, pro­duite fin 1989 et dif­fu­sée en 1990. Celle-ci se rap­proche en effet bou­gre­ment des albums des débuts, avec des rebon­dis­se­ments arti­fi­ciels et des dia­logues sté­réo­ty­pés ; les deux pre­miers épi­sodes reprennent même l’é­pou­van­table trame de Laverdure pour­sui­vi par une femme qu’il a séduite et qui se révèle sérieuse et pénible, déjà écu­lée depuis vingt ans.

Il n’empêche que pour une série des années 80, ça tourne plu­tôt bien, et que c’est le point haut des adap­ta­tions audio­vi­suelles des Aventures de Tanguy et Laverdure, entre une pre­mière série naïve et approxi­ma­tive et un film gras et bas de plafond.