Le prodige

d’Edward Swick, 2013, **

Les fans d’é­checs s’en sou­viennent encore : en 1972, à Reykjavík, Bobby Fischer devient cham­pion du monde, après avoir décla­ré for­fait sur la deuxième par­tie du cham­pion­nat, exi­gé le retrait des camé­ras et du public, et mena­cé de ne pas par­ti­ci­per du tout. Un bon résu­mé du per­son­nage, génial dans son jeu, capri­cieux et pué­ril en-dehors.

Pour l’au­teur d’un bio­pic, un per­son­nage comme Fischer est un régal : on a faci­le­ment le gran­diose qui jus­ti­fie le film, et on ne risque pas de tom­ber dans l’ha­gio­gra­phie tant l’homme était imbu­vable (et il ne s’est pas arran­gé en vieillis­sant). Reste le der­nier écueil, la faci­li­té, et c’est bien celui sur lequel sombre Le pro­dige. Les dia­logues tra­vaillés et les échos sym­bo­liques n’y peuvent rien : le film, dans son ensemble, se contente de dérou­ler la même séquence à quelques retouches près, comme un type qui ouvri­rait tou­jours par le pion en d4 et se conten­te­rait ensuite de petites variantes dans son jeu. On a donc l’é­ter­nel cycle « Bobby sur­prend tout le monde par un coup génial — Bobby sort des exi­gences débiles qui froissent tout le monde — Bobby pète les plombs, s’en­ferme et refuse de jouer — Bobby revient et sur­prend tout le monde par un coup génial », répé­té ad sopo­rem tout au long du film. Un mon­tage plus ner­veux aurait peut-être aidé à faire pas­ser la pilule, mais il y a en réa­li­té un vrai pro­blème de répé­ti­ti­vi­té dans l’en­semble de l’histoire.

En 1972, Boris Spassky avait 35 ans. Mais avec un acteur de 45 ans, on donne un peu plus l'impression que Fischer était un jeune génie… photo Metropolitan FilmExport
En 1972, Boris Spassky avait 35 ans. Mais avec un acteur de 45 ans, on donne un peu plus l’im­pres­sion que Fischer était un jeune génie… pho­to Metropolitan FilmExport

Le film souffre éga­le­ment de quelques autres fai­blesses, notam­ment un cas­ting et un maquillage dis­cu­tables qui donnent l’im­pres­sion d’une géné­ra­tion d’é­cart entre Spassky et Fischer. J’ai éga­le­ment noté un éta­lon­nage sans réduc­tion de bruit qui entraîne un four­mille­ment colo­ré très pro­non­cé dans les (nom­breuses) scènes en intérieur.

Au bout du compte, les acteurs font admi­ra­ble­ment leur bou­lot, mais ils sont à peu près les seuls à réel­le­ment séduire ; le pre­mier adjec­tif qui me vient pour qua­li­fier le film est fina­le­ment : « mollasson ».