Zero dark thirty

de Kathryn Bigelow, 2012, ***

Trois ans après l’ac­cla­mé Démineurs, Kathryn Bigelow revient avec un film par­ti­cu­liè­re­ment ambi­tieux : suivre la remon­tée de la CIA dans l’or­ga­ni­gramme d’Al-Qaida, jus­qu’à loca­li­ser la planque de l’en­ne­mi public n°1, Oussama Ben Laden.

Je vais dire clai­re­ment ce que je pense, comme ça ça sera fait : ce film est for­ma­té pour le public amé­ri­cain. De A à Z. Il est conçu pour ras­su­rer un pays trau­ma­ti­sé en lui mon­trant com­ment quelques per­sonnes déter­mi­nées peuvent éli­mi­ner un enne­mi de la nation. On retrouve la CIA de Homeland, intui­tive, sûre d’elle, déter­mi­née et qui aura rai­son seule contre tous ; on retrouve éga­le­ment les sur­hommes vain­queurs qui vident une mai­son comme des pros, sans tou­cher les gosses et en ne tou­chant mira­cu­leu­se­ment que des cibles (et ce, même en tirant à tra­vers des portes ou au détour d’un coin de mur).

Mais où donc est par­ti l’autre côté du miroir ? Le film parle évi­dem­ment de tor­ture (nul n’au­rait trou­vé Ben Laden sans), mais celle-ci n’est pas vrai­ment pré­sen­tée comme une honte ou un mal néces­saire — même si elle n’est pas ano­dine pour ceux qui la pra­tiquent. Elle va de soi, tout sim­ple­ment, elle est nor­male et évi­dente et si ça sur­prend un peu au début, on s’y fait vite. Bref, jamais le film ne dépasse l’a­dage : la fin jus­ti­fie les moyens.

Si Démineurs se conten­tait du point de vue du sol­dat qu’il sui­vait, c’é­tait logique : il racon­tait la vie d’un homme nor­mal balan­cé dans des cir­cons­tances excep­tion­nelles. Zero dark thir­ty ne peut invo­quer le même prin­cipe nar­ra­tif : il conte une opé­ra­tion déjà média­ti­sée sur toute la pla­nète, impli­quant la mort d’une « célé­bri­té » et des évé­ne­ments mar­quants sur un plan his­to­rique. Il ne pou­vait donc pas pas­ser sous silence l’as­pect poli­tique et moral de l’his­toire, et ce refus de remettre en ques­tion le point de vue de la CIA est une fai­blesse majeure pour un film de cette importance.

Au delà de ça, je n’ai pas accro­ché à la nar­ra­tion de l’his­toire elle-même. La mise en scène est conve­nue de bout en bout, la seule ori­gi­na­li­té (les deux pre­mières minutes) étant rigou­reu­se­ment pom­pée sur Farenheit 9/11. La fameuse mon­tée en ten­sion applau­die par la cri­tique ne m’a abso­lu­ment pas pris ; pis, j’ai trou­vé les qua­rante der­nières minutes (l’at­taque est contée qua­si­ment en temps réel) arti­fi­cielles et assez hors de pro­pos, et j’ai res­sen­ti ce pas­sage comme un très, très long assaut dont je connais­sais déjà le dérou­le­ment général.

Au final, je suis assez déçu de cet opus, qui est un film d’es­pion­nage par­tiel et par­tial refu­sant tout ques­tion­ne­ment sur un sujet que l’on ne peut rai­son­na­ble­ment trai­ter sans réflexion. Ça reste fré­quen­table et y’a bien pire au ciné ces temps-ci, mais c’est loin de la gran­deur que j’en espérais.