Le discours d’un roi

de Tom Hooper, 2010, ****

L’histoire, elle est simple : le duc d’York, frère du prince héri­tier du Royaume-Uni, bégaie. Gênant quand on doit faire des dis­cours, inau­gu­rer des bâti­ments, tout ça. Il se tourne vers un ortho­pho­niste aus­tra­lien, Lionel Logue¹, qui va se char­ger de le trai­ter pour qu’il puisse par­ler avec fluidité.

L’histoire rac­cour­cit donc quelque peu l’Histoire. On a ici l’im­pres­sion que Logue ne per­met à George VI de sur­mon­ter son bégaie­ment qu’in extre­mis, juste à temps pour pro­non­cer le dis­cours annon­çant la guerre au peuple bri­tan­nique. En réa­li­té, le trai­te­ment a sur­tout por­té sur la deuxième moi­tié des années 20 et Albert de Windsor avait une dizaine d’an­nées de dis­cours maî­tri­sés der­rière lui lors­qu’il devint George VI, et trois de plus lors de la décla­ra­tion de guerre à l’Allemagne. Sans doute fal­lait-il ren­for­cer l’in­ten­si­té dramatique…

La même néces­si­té dra­ma­tique explique pro­ba­ble­ment le rôle ren­for­cé d’Elizabeth Bowes-Lyon, alias « Queen Mum » pour les gens de ma géné­ra­tion. Connue sur­tout pour son inflexi­bi­li­té pen­dant la seconde guerre mon­diale, elle devient ici héroïne à part entière du film, mère aimante, femme douce mais de carac­tère, impo­sant sa volon­té à son duc de mari et lui fai­sant enchaî­ner les ortho­pho­nistes jus­qu’à trou­ver la perle rare qui par­vien­dra à le débloquer.

Bien enten­du, on n’é­chappe pas non plus à quelques cli­chés sur l’a­mi intime du puis­sant qui, le trai­tant comme un égal, lui per­met de révé­ler son huma­ni­té. On n’est pas si loin de Sept ans au Tibet, à ceci près que le duc n’est pas amu­sé des liber­tés que prend Logue — ah oui, appe­ler un duc « Bertie », c’est pas très bien vu.

Quant au duc, il a quelques moments de gran­deur, tout en étant pré­sen­té comme un homme au natu­rel fina­le­ment assez simple, à l’hu­mour plu­tôt fin et à la culture certaine.

Finalement, la fai­blesse du film, c’est peut-être ce côté Bisounours : tout le monde est gen­til, même le petit con égo­cen­trique et cou­reur de jupons qui pré­cède George VI sur le trône — l’é­phé­mère Edward VIII, qui mar­qua tel­le­ment qu’on l’a­vait car­ré­ment zap­pé dans mon cours de civi­li­sa­tion bri­tan­nique à la fac ! — et qui fina­le­ment se mue en homme sen­sible qui choi­sit l’a­mûûûr plu­tôt que le trône.

L’autre fai­blesse, c’est peut-être… la réa­li­sa­tion. Tom Hooper ne fait pas un mau­vais bou­lot, mais c’est plat, trans­pa­rent, et par­fois inuti­le­ment gran­di­lo­quent dans cer­tains effets de manche — asso­cia­tion musique-dis­cours, notamment.

Passons aux forces. Il y en a trois, mais de taille. La pre­mière s’ap­pelle Colin Firth, la deuxième Helena Bonham Carter et la troi­sième Geoffrey Rush. Ils sont tous trois nomi­nés pour ce film aux Oscars, et je c’est pour une fois tota­le­ment méri­té : ils sont par­faits, dans la ten­sion comme dans la décon­nade, dans la rete­nue comme dans l’exubérance.

Colin Firth n’a pas un rôle aisé : le bégaie­ment n’a rien de facile à mimer, son per­son­nage est mar­qué par une crois­sance dans l’ombre de son frère, une peur de son père et une laté­ra­li­sa­tion contra­riée (fal­lait pas être gau­cher à l’é­poque), tiraillé entre l’en­vie de gran­deur et le sens des conve­nances… Il s’en sort super­be­ment, en four­nis­sant une pres­ta­tion pas for­cé­ment spec­ta­cu­lai­re² mais sublime de natu­rel, de rete­nue, col­lant admi­ra­ble­ment à son per­son­nage. Geoffrey Rush a la par­tie plus facile, mais four­nit une pres­ta­tion splen­dide, et plus per­sonne ne pour­ra dire que Bonham Carter n’est bonne qu’à jouer des cin­glées (Martha dans Fight club ou Bellatrix Lestrange dans les Harry Potter) tant sa Queen Mum est sub­tile quoi­qu’un peu caractérielle.

Le trio d’ac­teurs trans­forme un film bien écrit et cor­rec­te­ment réa­li­sé en œuvre majeure. Ils font oublier les rup­tures de rythme ponc­tuelles, la construc­tion légère des per­son­nages ou leur manque d’é­vo­lu­tion phy­sique dans une his­toire qui s’é­tale tout de même sur quinze ans. Grâce à eux, on est pris, on y croit, et on s’in­té­resse au com­bat d’un homme contre lui-même et à ce petit voyage dans les névroses d’un type fina­le­ment assez ordinaire.

Du coup, au final, c’est vrai­ment bon.

¹ Non, c’est pas une plai­san­te­rie, il a vrai­ment exis­té. S’appeler Logue et tra­vailler la parole, ça s’ap­pelle la destinée. ^^

² Au contraire de beau­coup de celles qui m’ont mar­qué ces der­nières années : Maguire dans Brothers, Mickey Rourke dans The wrest­ler