Tron

de Steven Lisberger, 1982, ****

En pré­vi­sion d’une pro­jec­tion presse de Tron : l’hé­ri­tage, qui a eu lieu hier soir et dont je dirai rien pour l’ins­tant (article en pro­jet sur Lesnums dans les semaines qui viennent), j’ai revu récem­ment Tron, le pre­mier, le vrai.

Comment par­ler de Tron ? Déjà, je l’ai décou­vert à 25 ans. Lorsqu’il est sor­ti, je ne l’ai pas vu, pour la bonne rai­son que j’a­vais à peine deux ans et que je ne savais pas encore que je serais un geek — à l’é­poque, j’ap­pre­nais à tom­ber la tête la pre­mière sur des angles en béton et à dif­fé­ren­cier hari­cots jaunes et hari­cots verts.

Pardon, je m’é­gare. Je sors d’une grippe quatre étoiles, voyez-vous, et ça n’aide pas à main­te­nir le cap de ses pen­sées — et encore, ça va mieux : j’ai dor­mi une heure en ren­trant, et puis je suis plus vrai­ment malade depuis hier, même si je tousse encore un peu mais ça c’est tout moi, dès que les pou­mons sont tou­chés il me faut deux semaines pour m’en remettre.

Là, je sens que vous vous deman­dez le rap­port avec Tron. Certes. Peut-être n’y en a‑t-il aucun ? Y’a pas de virus dans Tron.

L’histoire est bizarre dès le départ. Imaginez un type qui, numé­ri­sé au laser jus­qu’au der­nier lym­pho­cyte, se retrouve conver­ti en pro­gramme et injec­té dans les cir­cuits d’un ordi­na­teur. C’est ce qui arrive à Kevin, qui vou­lait s’in­tro­duire dans l’or­di­na­teur de son ex-employeur pour récu­pé­rer les preuves que celui-ci s’é­tait appro­prié ses lignes de code et n’a­vait pas pré­vu d’y par­ve­nir lit­té­ra­le­ment. Une fois dans la machine, il découvre que les pro­grammes ont une per­son­na­li­té, le visage de leur pro­gram­meur, et qu’ils vivent sous la coupe du MCP, un ancien pro­gramme d’é­checs qui croît, fait par­ti­ci­per les autres pro­grammes à des sortes de jeux du cirque et s’ap­pro­prie leurs rou­tines pour gagner en puissance.

Kevin va retrou­ver Tron, pro­gramme créé par un ami dans le but de sup­pri­mer le MCP — car pour les uti­li­sa­teurs du ser­veur, dans le monde réel, l’om­ni­pré­sence du MCP est cause de dys­fonc­tion­ne­ments mul­tiples de la machine — et devoir l’ai­der à redon­ner leur liber­té aux autres programmes.

C’est un vrai film de geeks, à plu­sieurs niveaux. D’abord par la façon dont il pré­sente les pro­gram­meurs, espèces d’a­dos attar­dés — dont le pire exemple est bien sûr Kevin, qui passe ses jour­nées dans sa salle d’ar­cade et ses nuits à coder sur son cla­vier. Ensuite par la pro­jec­tion dans l’or­di­na­teur, occa­sion d’ef­fets spé­ciaux impres­sion­nants : l’es­sen­tiel du film est en images de syn­thèse, pro­gram­mées au cla­vier (pas de sou­ris et sur­tout pas de tablette gra­phique à l’é­poque), sans Blender ni POV-Ray ni After Effects…

Sur le papier, on se dit que l’u­ni­vers en 3D de Tron est for­cé­ment deve­nu sa plus grande fai­blesse, tant la syn­thèse d’i­mage a évo­lué depuis. C’est donc une vraie bonne sur­prise : l’es­thé­tique marque bien enten­du son âge, la pré­ci­sion des ombrages et des reflets est évi­dem­ment déplo­rable, l’a­ni­ma­tion est per­fec­tible en par­ti­cu­lier lorsque les motos tournent, mais ça marche. Encore et tou­jours. Ça fait le même effet que quand on reprend un vieux Mario, qu’on se dit que bon, niveau jeu, on fait “ache­ment mieux depuis, et qu’une demi-heure plus tard on s’a­per­çoit que l’er­go­no­mie, le rythme, l’im­mer­sion sont tou­jours au top et que tous les pro­grès gra­phiques ne valent pas un bon concept.

Alors oui, on des­sine aujourd’­hui des moto­cycles lumi­neux vingt fois plus détaillés en cin­quante fois moins de temps (si vous me croyez pas, ins­tal­lez Armagetron), mais la course dans Tron dure pile le temps qu’il faut, ce qui n’est pas tou­jours le cas dans des œuvres bien plus modernes (genre L’incroyable Hulk, avec ses bas­tons inter­mi­nables où on s’en­dort avant la fin).

Et puis, si le sce­na­rio est un peu simple, il a le bon goût d’al­ler où il veut aller en posant fina­le­ment une seule ques­tion véri­table : peut-on croire aux uti­li­sa­teurs — autre­ment dit : d’où viens-je, où vais-je, qui a créé l’univers ?

Cette ques­tion lan­ci­nante est le leit­mo­tiv des pro­grammes, qui attendent la libé­ra­tion et l’au­ront d’une façon fina­le­ment assez détour­née : ce n’est pas Dieu, par­don, Kevin qui détruit le MCP, mais Tron, véri­table héros du film, simple pro­gramme de son état.

Après, la trame glo­bale est assez pré­vi­sible, l’hu­mour potache peut pas­ser ou pas, et le réa­lisme n’est pas le sou­cis pre­mier du scé­na­riste, mais peu importe : ça plaît aux geeks, ça passe encore sacré­ment bien, et on s’en­nuie pas.

Du moins, quand on est moi. Je pré­cise parce que j’ai au moins une col­lègue (celle qui a ses entrées chez Disney et nous a per­mis de voir Tron : l’hé­ri­tage) qui l’a aus­si revu récem­ment aus­si et l’a détes­té. Mais elle a jamais fait de C, c’est peut-être pour ça. ^^