Le guerrier silencieux

de Nicolas Winding Refn, 2009, O

Imaginez un film dont le scé­na­rio serait l’an­ti­thèse de Fight club, la réa­li­sa­tion celle de American beau­ty, les dia­logues celle des Tontons flin­gueurs, le fond celle du Hérisson, la pho­to celle de Open range, la direc­tion d’ac­teurs celle de Heat, la musique celle de Honkytonk man, les effets spé­ciaux celle de Avatar et le mon­tage celle de Woodstock.

Vous dites ? Ça a l’air mal écrit, mal fichu, mal inter­pré­té, mal fil­mé, mal mon­té, moche, bruyant et vide ?

Merci. Je sau­rais pas mieux dire.

Sinon, j’ai vu que je sais plus quel cri­tique a dit de cette merde que c’é­tait au film de vikings ce que 2001, l’o­dys­sée de l’es­pace était à la science-fic­tion. Quelque part, je vois ce qu’il veut dire : Kubrick avait retour­né le clas­sique film d’ex­plo­ra­tion spa­tiale pour en faire une œuvre contemplative.

Néanmoins, je me per­met­trai hum­ble­ment de consi­dé­rer le type qui a fait cette com­pa­rai­son comme un pignouf à côté de ses pompes.

D’une, 2001, l’o­dys­sée de l’es­pace avait une por­tée sym­bo­lique et psy­cho­lo­gique concrète. La ques­tion de la nature même de l’hu­ma­ni­té était posée à tra­vers la décou­verte de l’ou­til, trans­for­mé dans la fou­lée en arme. Le mythe de Frankenstein était revi­si­té en haute tech­no­lo­gie — je sup­pose que ce « I’m sor­ry, Dave, I’m afraid I can’t do that » n’a pas mar­qué que moi : on le retrouve dans une série humo­ris­tique récente. La quête obs­ti­née de décou­verte, quels que soient les obs­tacles et sacri­fices sur le che­min, était éga­le­ment là, plus dis­crète mais aus­si pro­fonde que dans La conquête de l’Ouest par exemple. À l’in­verse, Le guer­rier silen­cieux ne pioche de réfé­rences que dans la reli­gion en géné­ral et les croi­sades en par­ti­cu­lier, et ne pose pas de ques­tion particulière.

De deux, le bijou de Kubrick avait une bonne excuse pour quelques lon­gueurs : il fai­sait au moins 2 h 20. Notre dau­basse danoise du jour n’at­teint les 90 minutes que par acci­dent (le mon­teur a dû s’en­dor­mir sur quelques séquences).

De trois, Kubrick avait pro­fi­té de l’oc­ca­sion pour soi­gner par­ti­cu­liè­re­ment cer­tains détails, comme la pho­to. Refn n’a fait qu’un choix esthé­tique : la simu­la­tion de trai­te­ment croi­sé, pro­fi­tant d’une camé­ra numé­rique Red One pour jouer avec les courbes et uti­li­sant cet effet de manière sys­té­ma­tique sans aucune finesse.