Running man
d’Edgar Wright, 2025, ****
C’est l’histoire d’un mec qui n’a pas le choix. Ouvrier lambda un peu impulsif viré d’un peu partout, son seul espoir de gratter un peu d’argent pour soigner sa fille est de gagner un jeu télé. Et comme il n’a pas le profil d’un « bon candidat », vous savez, les extravertis qui sont à fond et surjouent chaque question pour aider le présentateur à faire monter la sauce, il n’y a qu’un jeu télé pour lui : The running man, où les candidats lâchés en pleine ville doivent échapper à un commando de tueurs.
Là comme ça, ça doit vous rappeler un truc. Deux trucs, même. Le prix du danger, film de 1982 réalisé par Boisset et basé sur une nouvelle de Robert Sheckley. Et bien sûr Running man, immondice de 1987 réalisé par Glaser et très très très vaguement basé sur un roman de Richard Bachman.

Le Running man de Wright, adapté du même roman que le second, est en fait beaucoup plus proche du premier. Ce qui est logique : Sheckley et Bachman avaient en commun d’avoir choisi un héros ordinaire, ni meilleur ni pire que quiconque, pris dans une énorme machine publicitaire destinée à distraire le peuple en faisant une chasse à l’homme dans les rues. Le film de Glaser s’était énormément éloigné de cette logique avec un héros-fort-inflexible-américain à la noix et une arène pleine de couleurs flashy à la con.
Wright et Bacall ont, eux, lu le roman1 et compris ce qui le rendait intéressant : ils en reprennent très fidèlement la trame. En fait, un poil trop : ils ont gardé l’obligation pour le candidat d’envoyer régulièrement des preuves de vie par la poste, ce qui paraissait logique en 1982 mais semble un peu anachronique à l’heure où Internet arrive en 5G jusqu’au fin fond du Minnesota.
Donc, un mec ordinaire, des tueurs, une réalité manipulée par la télévision pour faire du spectacle et rendre le cerveau des téléspectateurs disponible, afin de soutenir les entreprises et l’État et d’éviter que quiconque se révolte. Le tout, saupoudré de références à 1984 plus ou moins discrètes. Et, bien sûr, un film à grand spectacle entraînant avec des personnages relativement stéréotypés et un rythme haletant – un marathon au rythme d’un 1500 m, pour métaphoriser à partir du titre.

Ça donne un résultat assez paradoxal : Running man utilise précisément les recettes qu’il dénonce. C’est un film conscient de lui-même. Ses personnages expliquent succinctement les ressorts de l’émission télé, notamment sa gestion du suspense, et par ricochet montrent comment le film tient le spectateur en haleine. Est-ce malin ou maladroit ? À vous de voir, c’est en tout cas remarquable. (C’est aussi symptomatique d’une tendance qui se renforce ces dernières années à Hollywood : dénoncer la société du spectacle, les mensonges publics et le manque de liens dans la vraie vie, tout en faisant du grand spectacle et de la fiction pour enfermer les gens dans des salles ou devant des écrans.)
Mais le film reste extrêmement efficace, avec une petite galerie de personnages certes stéréotypés mais raisonnablement bien construits, des dialogues parfois gentillets mais pas trop tire-larmes, un montage effréné qui sait se poser pour respirer aux moments opportuns, et des acteurs qui font leur boulot avec des tons variés – beaucoup d’emphase pour Brolin, qui rappelle parfois la prestation de Piccoli, beaucoup plus blasé pour Cera, et toujours enragé pour Powell.

Ça permet en tout cas d’avoir enfin une adaptation du Running man de Bachman digne de ce nom. On retrouve l’ambiance du roman, ses personnages, sa trame, sa critique sociale et politique tout juste mise à jour. On se rend compte en passant que celui-ci reste douloureusement d’actualité un demi-siècle2 plus tard : il manque certes Internet, mais la télé-réalité trash qui distrait le bas-peuple, les entreprises qui dirigent le gouvernement et s’affranchissent des normes de sécurité, les frais médicaux inaccessibles et autres joyeusetés du genre n’ont pas pris une ride.
En somme, si vous ne devez voir qu’un film dans ce désormais large choix de « produits sheckleyens », c’est sans doute celui-ci.
- Notez en passant que Wright revendique le fait d’avoir adapté un roman de Stephen King : apparemment, le fait qu’il y ait écrit « Richard Bachman » sur la couverture et qu’il n’y ait aucun ingrédient fantastique/horreur, ce qui avait poussé King à créer ce pseudonyme pour distinguer ses romans policiers et SF de sa production habituelle, ne compte plus.[↩]
- King avait écrit le brouillon au début des années 70, avant de reprendre, fignoler, resigner sous pseudo et publier le roman en 1982.[↩]