Kaizen — un an pour gravir l’Everest

de Basile Monnot, Samy Boussié et Inoxtag, 2024, *

Un bon alpi­niste a deux qualités.

D’une, il aime la mon­tagne. Du coup, en géné­ral, il aime la mon­trer, la par­ta­ger, don­ner envie de la décou­vrir. Là, le mec est tel­le­ment nom­bri­liste qu’il est pas capable de faire un plan sur une ava­lanche sans l’en­tre­cou­per d’un plein cadre sur son pif en train de dire « wah une ava­lanche c’est énorme ».

Gros plan au grand-angle sur Inoxtag masqué
Même quand on voit pas sa gueule, l’é­go­cen­trique à du mal à nous mon­trer autre chose. — cap­ture d’é­cran YouTube

De deux, il sait renon­cer. S’il voit que son plan de marche a trop glis­sé, il rentre en se disant que des fois, ça passe pas. Là, quand il s’a­per­çoit qu’il est en retard pour ren­trer dans de bonnes condi­tions, le mec écoute le speech de son père et dit « balec, on y va, on ver­ra bien » — alors que son guide, lui, est prêt à ren­trer. C’est le genre de conne­rie d’Herzog qui a coû­té les orteils de Lachenal.

Et évi­dem­ment, corol­laire du point deux : un bon alpi­niste sait aus­si ne pas perdre de temps au som­met à mul­ti­plier les séquences émo­tion et reprendre le che­min de la des­cente à l’heure pour pas finir cre­vé et pau­mé de nuit. Hillary estime avoir pas­sé 15 minutes en tout et pour tout à véri­fier où était le point le plus haut de l’a­rête, faire la pho­to de Tenzing et poser une paire d’of­frandes. Là, le mec perd une plombe à faire des plans dans tous les sens, qui ser­vi­ront à rien puisque le plus long fera 4 secondes et sera cou­pé par une minute de gros plan sur sa gueule en train de chia­ler dans son masque à oxy­gène. C’est le genre de conne­rie qui a coû­té les orteils de Lachenal.

Inoxtag lâchant son descendeur sur les gens en-dessous
Le vrai moment dan­ge­reux du film : celui où un cré­tin qui tient son mous­que­ton à l’en­vers lâche son des­cen­deur. — cap­ture d’é­cran YouTube

Et puis bon, voi­là, le mec qui passe son temps à dire que c’est la zone de la mort, avec mon­tagne dégui­sée façon œil de Sauron en cadeau, qu’il a jamais rien fait d’aus­si dan­ge­reux, tout ça…

Le truc le plus dan­ge­reux qu’on voit, c’est quand ce bou­let qui a oublié de regar­der dans quel sens était son mous­quif envoie val­ser son des­cen­deur alors qu’il y a des gens 50 m plus bas. Un Reverso (pas sûr du modèle mais ça res­semble) pèse une soixan­taine de grammes. Sur 50 m, il prend donc une tren­taine de joules. C’est dix fois l’éner­gie typique d’une bille de pis­to­let BB 4,5 mm, qui va pas tuer quel­qu’un mais peut clai­re­ment faire très mal (pha­lange frac­tu­rée, œil cre­vé…) si elle tape au mau­vais endroit. Mais ça, il le relève à peine, comme si le seul pro­blème de l’ac­tion était d’a­voir per­du un des­cen­deur. Pour lui, le dan­ger, c’est d’être en bonne san­té, accro­ché à une corde et entou­ré de pro­fes­sion­nels, pas de lais­ser tom­ber un truc poten­tiel­le­ment bles­sant sur d’autres personnes.

Bref, c’est nom­bri­liste, auto­com­plai­sant, abso­lu­ment dépour­vu du moindre recul, réa­li­sé façon scène d’ac­tion d’un mau­vais Marvel avec une coupe toutes les trois secondes, et y’a plus de gros plans au grand-angle sur le héros que dans un mau­vais Jeunet. Et par pure cha­ri­té, je par­le­rai pas de la morale façon « bouge-toi le cul fei­gnasse », « si tu veux tu peux » et « chuis trop un bon fils t’as vu ? »

Plan large sur l'Everest et la foule sur l'arête sud
Heureusement qu’il y a quelques plans comme ça pour mon­trer autre chose que le nar­ra­teur… — cap­ture d’é­cran YouTube

Ça passe vague­ment parce que, mal­gré tout, les pho­to­graphes ont réus­si à glis­ser en douce une paire de plans magni­fiques entre deux mono­logues nom­bri­listes et parce que, mal­gré tout, Mathis a réus­si à pla­cer une paire de phrases impor­tantes sur l’al­pi­nisme, la mon­tagne, tout ça. Mais c’est clai­re­ment le film d’al­pi­nisme le plus pour­ri que j’ai vu depuis La mon­tagne entre nous (qui avait l’ex­cuse de ne pas être un film d’alpinisme).