Into the night

de Jason George, 2020, *

L’embarquement vient de com­men­cer et une demi-dou­zaine de pas­sa­gers à peine ont fran­chi la porte du Bruxelles-Moscou. Mais voi­là qu’un sol­dat ita­lien saute dans l’a­vion avec un fusil mitrailleur, oblige la cheffe de cabine à fer­mer la porte, se bat avec le copi­lote et lui tire dans la main, nique au pas­sage une baie élec­trique, récu­père une pilote d’hé­li­co­ptère qui traî­nait en pre­mière classe et oblige tout le monde à s’as­seoir et décol­ler, le plus loin pos­sible vers l’ouest. Parce que, dit-il, le lever du soleil tue­ra tout le monde, et qu’il faut prendre l’astre de vitesse en res­tant dans la nuit.

L’idée de base se situe donc quelque part entre Destination finale et Speed, avec une touche de Mad Max et d’Airport çà et là. Sur le papier, ça peut être dis­trayant, un peu facile mais amu­sant, et comme il y a un avion, Pauline Étienne et Alba Bellugi (excel­lents seconds rôles du Bureau des légendes), ça se tente.

Oui, mais.

Équipage d'Into the night
— Je suis pilote d’hé­li­co, je connais rien aux Airbus, mon mec est mort alors je suis triste, tout ça.
— M’en parle pas, ça fait vingt ans que j’es­saie d’a­voir un enfant et ma maî­tresse était enceinte juste avant que je l’a­ban­donne au soleil…
- pho­to Entre Chien et Loup

Mais d’a­bord, cette série souffre du syn­drome Lost, vous savez : chaque per­son­nage a sa propre his­toire tra­gique, per­sonne ne peut être un indi­vi­du nor­mal qui se retrouve là-dedans par hasard.

C’est une apo­ca­lypse, ça touche lit­té­ra­le­ment tout le monde, mais il faut qu’on réunisse une veuve toute fraîche qui trans­porte son urne, un enfant qui a besoin d’être opé­ré urgem­ment et sa môman para­noïaque et cynique mais gen­tille au fond, des sol­dats pour­sui­vis pour crimes de guerre, un frus­tré hyper-reli­gieux, un mafieux qui fai­sait pas­ser des dia­mants dans l’es­to­mac d’un tiers, un volage qui vient d’ap­prendre que sa maî­tresse était enceinte, une influen­ceuse superficielle-mais-en-fait-non…

C’est pas qu’on pré­sente le pas­sé de héros ordi­naires afin de leur don­ner un peu de pro­fon­deur, non : cha­cun était déjà embrin­gué dans des situa­tions impos­sibles avant que les évé­ne­ments se déclenchent. L’avantage, c’est que chaque épi­sode a ain­si une tonne de matière pour sou­te­nir le sus­pense ; l’in­con­vé­nient, c’est que ça nous donne une accu­mu­la­tion abso­lu­ment incroyable de per­son­nages aux­quels on n’a aucune chance de s’identifier.

Enfant en attente d'opération dans Into the Night
Non mais vous avez pas com­pris : je suis un hom­mage à 747 en péril. — pho­to Entre Chien et Loup

Par ailleurs, le pré­texte de l’his­toire lui-même est mal géré. D’un côté, on appré­cie que les auteurs aient pris la peine de cal­cu­ler la lati­tude à laquelle un A320 peut effec­ti­ve­ment prendre le soleil de vitesse et de cher­cher des étapes pos­sibles en fonc­tion de l’au­to­no­mie de l’a­vion (logi­que­ment, il manque un ravi­taille­ment en Russie, mais on peut ima­gi­ner que c’est une ellipse des­ti­née à évi­ter des scènes répé­ti­tives). De l’autre…

Ravitaillement de l'Airbus A320 d'Into the night
C’est quand même pra­tique, ces pas­se­relles qui appa­raissent spon­ta­né­ment à chaque fois qu’on ouvre la porte. — pho­to Entre Chien et Loup

De l’autre, il y a des trous dans le scé­na­rio plus gros que celui dans la Lune d’Assassination Classroom.

Je vais spoi­ler un peu, déso­lé, mais voi­là : si ce putain de soleil est tel­le­ment puis­sant qu’il détruit le kéro­sène dans les réser­voirs des aéro­ports, vous m’ex­pli­quez com­ment l’es­sence des voi­tures reste uti­li­sable ? Il est un peu snob et n’at­taque que les hydro­car­bures les moins raffinés ?

Et le copi­lote qui dit qu’il peut éco­no­mi­ser du car­bu­rant en volant plus bas, il a eu son diplôme dans quelle pochette-sur­prise ? Mes élèves de BIA1 sont sen­sés savoir que de manière géné­rale, les avions ont une meilleure auto­no­mie en alti­tude. Et aux der­nières nou­velles, le niveau de la licence de pilote de ligne était plus élevé.

Oh, et puis, il y a bien sûr l’i­né­vi­table scène de décom­pres­sion explo­sive, indis­pen­sable à tout film-catas­trophe aéro­nau­tique. Avec un coup d’œil au tableau de bord. Où on voit ça :

Décompression explosive à 5500 pieds
Sérieux, une décom­pres­sion bru­tale à… 5500 pieds ? — cap­ture Netflix

Ça, c’est l’al­ti­mètre. 5530 pieds. Même pas 1700 mètres. La pres­sion à l’in­té­rieur d’un A320 en croi­sière (donc vers 35 000 pieds) cor­res­pond à la pres­sion atmo­sphé­rique à 2400 m, à quelque chose près. Autrement dit, à 5530 ft, le fuse­lage de l’A320 n’est pas encore mon­té en pres­sion, ou alors de manière négli­geable. Si on pète un hublot, ça va juste faire un cou­rant d’air.

Trop poin­tu à votre goût ? Okay, alors voi­là une conne­rie plus grand public.

3 min 27 s avant l'aube
Vite, il faut ren­trer dans le bun­ker, le soleil arrive ! — cap­ture Netflix

On nous le dit, on nous le répète : l’aube, c’est la mort. Les per­son­nages passent donc le der­nier épi­sode à comp­ter le temps qu’il leur reste avant le lever du soleil. Et l’i­mage ci-des­sus, c’est…

Trois minutes et vingt-sept secondes avant l’aube.

Okay, la Bulgarie, c’est plus près de l’é­qua­teur, le soleil tombe et se lève plus vite, tout ça. Mais vous vou­lez vrai­ment me faire ava­ler que 3 min 27 s avant qu’il arrive sur l’ho­ri­zon, on a les condi­tions lumi­neuses d’une nuit sans lune ?

Bref, si le scé­na­rio est ryth­mé et varié, il est aus­si cohé­rent qu’un poli­ti­cien fran­çais par­lant de masques chirurgicaux.

Ajoutons deux petits trucs : la direc­tion d’ac­teurs est inégale d’une scène à l’autre et, sur­tout, le son est uni­for­mé­ment pour­ri. Vraiment. À chier. La prise de son médiocre laisse à peine com­prendre les dia­logues et le mixage ajoute régu­liè­re­ment une musique qui écrase les répliques essen­tielles. J’ai dû par deux fois reve­nir en arrière pour com­prendre ce qui venait de se dire, alors que c’é­tait du fran­çais (et même pas avec un accent belge). Moi, fran­co­phone natif, je com­prends plus faci­le­ment les acteurs d’Outlanders, qui parlent anglais avec des accents amé­ri­cain, anglais et écos­sais, mais qui ont un ingé­nieur du son digne de ce nom…

Scène de vote dans Into the night
Okay, qui vote pour qu’on empale l’in­gé son sur sa perche avant de le jeter hors de l’a­vion ? — pho­to Entre Chien et Loup

Bref, l’i­dée de base n’est pas mau­vaise, le cas­ting pour­rait être bon avec une direc­tion plus constante, la réa­li­sa­tion serait réus­sie si la prise de son et le mixage n’é­taient pas mer­diques, le scé­na­rio serait hale­tant s’il n’é­tait plom­bé d’in­co­hé­rences mons­trueuses… En résu­mant, cette série est sur­tout remar­quable par son incroyable poten­tiel gâché.

  1. Brevet d’i­ni­tia­tion aéronautique.