Girl

de Lukas Dhont, 2018, ****

« Est-ce que quel­qu’un voit un incon­vé­nient à ce que Lara uti­lise les douches des filles ? »

La ques­tion peut paraître éton­nante. C’est que Lara, grande blonde qui vient d’en­trer dans une école de danse répu­tée, a (pour l’ins­tant) un pénis. La direc­tion craint les réac­tions de ses cama­rades… et ses cama­rades s’en foutent.

Une fille comme les autres… — pho­to Menuet

Ça fait par­tie des trucs que l’on peut aisé­ment racon­ter, mais le film, dans son ensemble, ne se prête guère à l’exer­cice. C’est une suite de tranches de vie ordi­naires, d’une famille qui vient de démé­na­ger pour per­mettre à l’aî­née de suivre sa voie, d’une élève qui arrive avec retard et un phy­sique inadap­té dans des cours que d’autres suivent depuis la pri­maire, de pre­mières amours et d’hu­mi­lia­tions lycéennes, de réunions de famille plus ou moins réus­sies, de la coha­bi­ta­tion avec soi-même dans un corps qui ne nous cor­res­pond pas et que l’on vou­drait refaire au plus vite.

…dans un corps qui ne change pas assez vite. — pho­to Menuet

On n’é­chappe pas à cer­tains incon­tour­nables par­fois un peu faciles (depuis Black swan, tout film de danse doit avoir un gros plan sur un pied en sang) et on peut regret­ter un finale très annon­cé et man­quant de sub­ti­li­té. Mais il serait dom­mage de s’ar­rê­ter à ces détails : l’en­semble est assez com­plet, assez drôle pour ne pas être lourd, assez tra­gique pour ne pas être futile, et mène sa logique à son terme sans (trop) juger ses per­son­nages. Un très bon pre­mier film donc, natu­rel, ambi­gu et émouvant.

Petit PS : j’ai vu que cer­taines asso­cia­tions repré­sen­tant les trans­genres cri­ti­quaient assez sévè­re­ment le film, l’ac­cu­sant de se foca­li­ser sur la tran­si­tion et le com­bat, et regret­tant glo­ba­le­ment que le ciné­ma parle peu des trans qui vivent heureux(ses) et de leur vie quo­ti­dienne. Je peux com­prendre cette cri­tique, mais je la trouve un poil dure : de manière géné­rale, le ciné­ma parle de tran­si­tion et de com­bats et ne s’in­té­resse jamais aux gens heu­reux. On ne fait pas un film où les per­son­nages sont les mêmes à la fin qu’au début, n’af­frontent rien et sont sim­ple­ment satis­faits : ça n’a aucun intérêt.

L’obsession de plier son corps à sa volon­té et de le mon­trer sous tous les angles ne déran­geait per­sonne lors­qu’il s’a­gis­sait des cat­cheurs et dan­seuses cis­genre d’Aronofsky et, quelque part, j’ai l’im­pres­sion que ce que ces asso­cia­tions reprochent à Girl, c’est d’être un film ordi­naire, qui traite ses per­son­nages comme les films ordi­naires traitent leurs personnages.

Évidemment, en tant qu’­homme né mâle, je suis sûre­ment pas le mieux pla­cé pour trai­ter cet aspect du film : cer­tains enjeux me passent inévi­ta­ble­ment au-des­sus de la tête. Peut-être existe-t-il une dif­fé­rence radi­cale entre Girl et d’autres films obsé­dés par le corps, et l’ai-je ratée. Sans doute, aus­si, le film ultime sur l’i­den­ti­té trans­genre reste-t-il à faire. Mais peut-être cer­taines asso­cia­tions ont-elles réagi de manière viru­lente parce que le sujet les concer­nait, voyant une affaire per­son­nelle dans des élé­ments qui sont en fait omni­pré­sents au cinéma.