Downsizing

d’Alexander Payne, 2017, ***

Quand on fait 12 cm, on peut se loger dans une sur­face beau­coup plus faible et se nour­rir avec des quan­ti­tés dras­ti­que­ment réduites. Du coup, quand on fait 12 cm, les maigres éco­no­mies d’un ouvrier d’1,80 m suf­fisent à ache­ter un palace et à se nour­rir des décennies.

Ah, et la pla­nète aime ça, aus­si : les petits hommes consomment moins, rejettent moins, pol­luent moins.

Tu devrais te faire réduire aus­si, tu dépen­se­rais moins d’argent en bière. — pho­to Paramount Pictures

Voilà donc l’i­dée de base d’Alexander Payne et Jim Taylor, qui nous en sortent une comé­die de fond — vous savez, ce genre de comé­die d’un abord léger et fami­lial mais qui traite de fin du monde, d’ex­tinc­tion de masse et de sur­vi­va­lisme sur une pla­nète qu’on finit de détruire.

L’intention est évi­dem­ment bonne et ça fait plai­sir d’en­fin voir un film amé­ri­cain dire ouver­te­ment que la sur­po­pu­la­tion et l’ac­ti­vi­té humaine condamnent la pla­nète, chose raris­sime même dans le débat poli­tique local (même Une véri­té qui dérange n’ose pas dire fron­ta­le­ment « c’est une vraie ques­tion de sur­vie », et la célèbre scène envi­ron­ne­men­tale de The news­room oublie tout de même la ques­tion de l’ex­plo­sion démo­gra­phique). Et puis, le choix de le tour­ner sous l’angle de la comé­die légère peut aider à faire pas­ser l’i­dée un peu mieux qu’un ancien vice-pré­sident mon­trant des gra­phiques pen­dant deux heures.

Pour une scène où ils ont pen­sé à la taille et l’ap­pa­rence d’un objet du monde réel… — pho­to Paramount Pictures

Et puis, il y a des gags qui fonc­tionnent, un paral­lèle sur la socié­té de classes rela­ti­ve­ment bien fait, quelques remarques inté­res­santes sur la façon dont une tech­no­lo­gie peut être détour­née par le pou­voir si l’on n’y prend garde…

En revanche, on ne peut s’empêcher d’être un poil déçu par plein de détails. D’abord, la rela­tion entre le héros et l’hé­roïne est cari­ca­tu­rale, vide de finesse et pleine de faci­li­tés prévisibles.

Ensuite, les auteurs n’ont pas l’air de s’être deman­dé à quoi res­sem­blait le monde vu de 12 cm de hau­teur. Évidemment, les hommes réduits s’ins­tallent dans des villes pro­té­gées des oiseaux, des chats et autres pré­da­teurs, mais pour­quoi donc, lors­qu’ils en sortent, aucun de ces dan­gers n’est-il pré­sent ? Comment peuvent-ils aller navi­guer sur un fjord sans qu’un seul goé­land ait l’i­dée de venir goû­ter ? Comment se fait-il que les tex­tures res­tent exac­te­ment aux mêmes échelles ? Une poutre en bois devrait avoir des veines quinze fois plus grosses, la soie la plus fine devrait res­sem­bler à un pull en laine gros­sier, les grains de sable de la plage devraient avoir l’al­lure de gros gra­viers, même les gouttes d’eau d’une douche devraient avoir la taille d’un globe oculaire !

…il y en a douze où les tailles de cer­tains élé­ments ne collent pas (ici, les veines du bois sur le par­quet et les meubles). — pho­to Paramount Pictures

Inversement, pour­quoi et com­ment les hommes réduits n’u­ti­lisent-ils que des tech­no­lo­gies exis­tantes en vraie gran­deur ? Seron avait bien com­pris un truc : si on divise la taille par dix, on divise le poids par mille. Une voi­ture volante n’est alors plus un délire néces­si­tant une ali­men­ta­tion éner­gé­tique ima­gi­naire, mais un objet réa­li­sable assez aisé­ment. Un avion d’un mètre d’en­ver­gure pesant cinq kilos peut voler 10 heures et faire 800 km avec six litres d’es­sence, et ça n’est pas l’a­jout d’un cock­pit et de quelques bons­hommes de 100 g cha­cun qui va le han­di­ca­per outre mesure — alors qu’in­té­grer 300 ou 400 kg de viande dans un avion léger est un vrai casse-tête.

Or, une fois pas­sées les scènes d’ou­ver­ture et mis à part une poi­gnée de gags repo­sant sur la taille, l’en­semble de l’u­ni­vers de ces petits hommes n’est qu’une réplique de notre uni­vers à nous. En fait, Chéri j’ai rétré­ci les gosses gérait beau­coup mieux la ques­tion de la taille, ne serait-ce qu’en envoyant les minots affron­ter une four­mi. Oui, je sais, c’est la pre­mière fois que quel­qu’un m’en­tend dire du bien de Chérie j’ai rétré­ci les gosses. Moi-même, je suis choqué.

C’est sans nul doute l’as­pect le plus frus­trant de Downsizing : ses créa­teurs n’ont pas su quoi faire de leur idée. Bien sûr, ils avaient envie de par­ler d’en­vi­ron­ne­ment et bien enten­du, ils ont bien fait de le faire ; mais ils ne pou­vaient pas faire l’im­passe sur la créa­tion d’un uni­vers cohé­rent à l’é­chelle 1/15, et ils ne pou­vaient sur­tout pas pas­ser à côté de la confron­ta­tion des petits hommes à l’u­ni­vers en vraie gran­deur dans la seconde par­tie du film.

Le résul­tat est plu­tôt agréable mal­gré quelques lon­gueurs, il fonc­tionne plu­tôt bien mal­gré quelques res­sorts vrai­ment trop faciles et il est plu­tôt drôle mal­gré quelques scènes cari­ca­tu­rales, mais il laisse aus­si un vrai goût de frus­tra­tion à la sor­tie de la salle.