Rogue One : a Star wars story

de Gareth Edwards, 2016, ***

N’y allons pas par quatre che­mins : mal­gré son Godzilla fran­che­ment pas ter­rible, j’at­tends plus d’un Gareth Edwards que d’un J.J. Abrams. Il faut dire que son tout pre­mier film était le remar­quable Monsters, qui pre­nait à contre-pied les his­toires d’in­va­sion extra-ter­restres clas­siques pour se trans­for­mer en road-movie migra­toire à l’am­biance par­ti­cu­liè­re­ment lourde. Du coup, quand on me dit que Gareth Edwards va faire le Star wars de l’an­née, me voi­là assez exci­té : lui, au moins, devrait essayer de faire un truc un peu nou­veau, plu­tôt que de pla­gier éhon­té­ment les trois canons fon­da­teurs de la reli­gion sans rien mettre à jour.

Une héroïne avec un semblant d'histoire, un héros qui n'a rien d'autre à faire. - photo Jonathan Olley
Une héroïne avec un sem­blant d’his­toire, un héros qui n’a rien d’autre à faire. — pho­to Jonathan Olley

Sur le plan scé­na­ris­tique, le contrat est indé­nia­ble­ment rem­pli. Le pre­mier rôle fémi­nin a cette fois un sem­blant d’his­toire, cer­tains seconds rôles mas­cu­lins aus­si, le tra­jet qui mène de la pas­si­vi­té à la rébel­lion fait par­tie du script, tout ne se passe pas comme sur des rou­lettes et les héros finissent par mener leur action en rebelles de la rébel­lion, à l’ar­rache, sans sou­tien, un peu façon Han Solo quoi. La tona­li­té est éga­le­ment dif­fé­rente des Star wars habi­tuels, plus noire, plus déses­pé­rée ; nombre de per­son­nages meurent d’ailleurs dès qu’ils ont fini de ser­vir, au lieu de se reti­rer en ermites au cas où on vou­drait les res­sor­tir trois épi­sodes plus loin. Même le (inter­mi­nable) com­bat final est un mélange ori­gi­nal, avec tous les ingré­dients typiques de la saga mais une ambiance dif­fé­rente, où l’ac­tion kami­kaze est tou­jours pos­sible et où l’is­sue n’est pas gagnée — bien sûr, Weitz et Gilroy se sont sim­pli­fié la tâche en se pla­çant entre La revanche des Sith et Un nou­vel espoir : on sait que l’ac­tion des héros doit se finir en large des­truc­tion pour que Luke puisse sau­ver la rébel­lion à l’é­pi­sode suivant.

Un Star wars, un décor paradisiaque, mais une tonalité plus tragique. - photo Lucasfilm
Un Star wars, un décor para­di­siaque, mais une tona­li­té plus tra­gique. — pho­to Lucasfilm

En revanche, on peut regret­ter que cette évo­lu­tion de l’am­biance ne se soit pas vrai­ment tra­duite sur le plan gra­phique. Certes, on renonce aux ampu­ta­tions auto-cau­té­ri­sées qu’af­fec­tion­nait Lucas, certes, on a un peu de sueur et de héros décoif­fés, mais on comp­te­ra les gouttes de sang sur les doigts de la main, même quand on pul­vé­rise une ville ou qu’on ven­tile les storm­troo­pers façon puzzle. Ça reste fina­le­ment très pro­pret, plu­tôt lisse, un peu comme la direc­tion d’acteur.

Ah oui, parce que ça, c’est une très mau­vaise habi­tude luca­sienne qu’Edwards a fidè­le­ment reprise : les dia­logues pom­peux ser­vis avec des into­na­tions arti­fi­cielles. Felicity n’a­vait plus été aus­si plate depuis The ama­zing Spider-Man : le des­tin d’un héros, le reste du cas­ting est d’une remar­quable trans­pa­rence et même Mads et Forest cabo­tinent comme je ne les en pen­sais pas capables.

Et puisque j’en suis aux défauts, j’a­jou­te­rai que la pre­mière heure tourne lar­ge­ment à vide du fait d’une mise en place bor­dé­lique : c’est bien que l’hé­roïne ait une his­toire, mais ça serait mieux si celle-ci n’é­tait pas racon­tée en trois ou quatre flash-back tom­bant régu­liè­re­ment comme un che­veu sur la soupe — la rela­tion entre Jyn et Saw est ain­si com­plè­te­ment détruite à leur deuxième ren­contre. Et bien enten­du, puisque c’est un Star wars, il y a un com­po­si­teur qui a cru que son bou­lot était de décli­ner John Williams à toutes les sauces et de l’in­jec­ter en force dans chaque scène, et il y a des pas­sages où on est bru­ta­le­ment éjec­té de l’ac­tion par un débar­que­ment d’or­chestre qui vient oppor­tu­né­ment nous rap­pe­ler que non, ça n’est pas vrai, c’est juste un film.

Toute ressemblance avec Zatōichi serait fortuite. - photo Lucasfilm
Toute res­sem­blance avec Zatōichi serait for­tuite. — pho­to Lucasfilm

Le résul­tat est fina­le­ment para­doxal. La deuxième heure tourne bien, le thème géné­ral renou­velle un peu la fran­chise (qui en avait bien besoin après l’au­to-paro­die de l’an pas­sé), l’am­biance plus sombre pour­suit la fin de La revanche des Sith et donne une tona­li­té plus adulte à la série, les per­son­nages sont plu­tôt mieux écrits que d’ha­bi­tude… Mais le début a la déli­ca­tesse d’un Gérard Depardieu alcoo­li­sé, le meilleur acteur du film est en images de syn­thèse (il est mort dans les années 90), et la musique détruit avec appli­ca­tion et obs­ti­na­tion tous les pas­sages où on aurait pu être pris par l’action.

Il y avait sans doute matière à un très bon film ; le résul­tat final est plu­tôt un truc inté­res­sant, bien fait mais par­fois aga­çant, sau­vé par une deuxième par­tie plu­tôt entraînante.