Point break — extrême limite

de Kathryn Bigelow, 1991, ***

Vous connais­sez l’his­toire du vieux flic cynique et bla­sé et du jeune flic naïf et enthou­siaste ? Vous connais­sez l’his­toire du flic qui infiltre un groupe et finit par s’y iden­ti­fier ? Bien, vous connais­sez les deux his­toires de Point break.

Sur le fond, rien de bou­le­ver­sant donc. D’ailleurs, ses deux scé­na­ristes ont fait des car­rières hon­nêtes, mais dis­crètes. On n’en atten­dait pas plus non plus de la réa­li­sa­trice, fai­seuse effi­cace d’Aux fron­tières de l’aube et de Blue steel, mais qui était encore à une quin­zaine d’an­nées de Démineurs. Quant aux acteurs, on va sim­pli­fier un peu en disant qu’à part Swayze, per­sonne n’é­tait connu à l’é­poque (c’est un peu injuste, notam­ment pour McGinley qui s’é­tait déjà fait voir dans Platoon, mais c’est mon choix).

On va être honnête : la direction d'acteurs, c'est pas ça. - capture Twentieth Century Fox
On va être hon­nête : la direc­tion d’ac­teurs, c’est pas ça. — cap­ture Twentieth Century Fox

Bref, Point break s’an­non­çait comme un polar de série B.

Et, soyons hon­nête, c’est exac­te­ment ce que c’est : effi­cace, propre, suf­fi­sam­ment étof­fé pour qu’on suive vague­ment les per­son­nages mais suf­fi­sam­ment linéaire pour pas se prendre le chou. La cri­tique a été par­ta­gée, le suc­cès en salles a été bon sans être bou­le­ver­sant, bref, tout dans la vraie vie de Point break en fait une hon­nête dis­trac­tion, assu­mée et accueillie comme telle.

Comment, deux bonnes décen­nies plus tard, ce film est-il deve­nu le sujet d’un culte, au point d’a­voir fait l’ob­jet d’un remake à très, très gros bud­get ?

C’est simple et com­plexe à la fois.

Jimmy, Lyndon, Richard et Ronald vont à la banque. - capture Twentieth Century Fox
Jimmy, Lyndon, Richard et Ronald vont à la banque. — cap­ture Twentieth Century Fox

D’abord, Point break est né dans un contexte de films d’ac­tion directs et sans pré­ten­tion : la tona­li­té n’est pas si éloi­gnée, par exemple, des L’arme fatale. Dans une époque où le ciné­ma sim­ple­ment « fun » mar­chait, il a su sai­sir la vague. Il a sans doute éga­le­ment su par­ler à la jeu­nesse amé­ri­caine par cer­tains détails tout cons : par exemple, faire bra­quer des banques à quatre pré­si­dents qui, en 91, étaient encore lar­ge­ment connus, dont l’hon­nê­te­té par­fois dou­teuse res­tait vive dans les mémoires, mais qui étaient déjà les pré­si­dents des parents, ça tapait par­fai­te­ment juste.

Ensuite, Bigelow était une fai­seuse, mais une bonne fai­seuse — comme son pro­duc­teur, James Cameron. Elle n’a ain­si pas fait la conne­rie d’es­sayer de varier le rythme pour don­ner une fausse intros­pec­tion à ses per­son­nages : se conten­tant de cap­ter la dyna­mique du groupe et limi­tant les dia­logues à l’es­sen­tiel, elle a pon­du un film d’ac­tion effi­cace et s’est atta­chée à ce que l’ac­tion soit à la fois entraî­nante et par­fai­te­ment lim­pide. Les scènes de surf sont fil­mées de manière à évi­ter les répé­ti­tions, la pho­to soi­gnée per­met de faire rêver le spec­ta­teur (sur­tout en période de cani­cule), c’est beau et pre­nant. Et puis­qu’elle avait un acteur qui pou­vait faire du para­chu­tisme, elle s’est assu­rée qu’on le voie bien aux moments oppor­tuns — ce qui per­met en pas­sant à Swayze de prendre le pre­mier rôle, mais son per­son­nage était de toute façon plus cha­ris­ma­tique que celui de Reeves.

Patriiiick ! - capture Twentieth Century Fox
Patriiiick ! — cap­ture Twentieth Century Fox

Enfin, et sur­tout, Point break a influen­cé les cinéastes. Il faut le revoir aujourd’­hui pour réa­li­ser à quel point on le retrouve un peu par­tout, notam­ment dans les films d’ac­tions des années 90 et 2000. Un plan çà et là, un bout de dia­logue ici, voire l’es­sen­tiel du script pour le pre­mier Fast and furious, beau­coup de choses viennent de Point break et pas seule­ment dans Brice de Nice. Il a ain­si gar­dé une capa­ci­té à par­ler aux fans des films sui­vants, et celle-ci l’a peu à peu fait recon­naître comme un nœud mar­quant du ciné­ma d’action.

Le revoir aujourd’­hui per­met éga­le­ment de réa­li­ser à quel point les auteurs du remake se sont plan­tés. En essayant de lui don­ner une dimen­sion glo­bale, une gran­deur arti­fi­cielle et un dis­cours pro­fond (éco­lo­gie, valeurs morales, éthique, etc.), ils ont com­plè­te­ment per­du l’hon­nête sim­pli­ci­té d’un film d’ac­tion fait pour le plai­sir. C’est sans doute le plus grand suc­cès de ce surf-bud­dy-cop-movie que de res­ter, vingt-cinq ans après sa sor­tie, une dis­trac­tion effi­cace, quand ses clones se sont per­dus d’une manière ou d’une autre.