À l’heure zéro

de Hall Bartlett, 1957, **

Dans un DC‑4 cana­dien, le pois­son est ava­rié. Bien sûr, les deux pilotes en mangent, lais­sant les com­mandes à un pas­sa­ger qui n’a pilo­té que du Spitfire dix ans plus tôt.

C'est mieux qu'un Spitfire, je peux emmener ma femme. - capture Paramount Pictures
C’est mieux qu’un Spitfire, je peux emme­ner ma femme. — cap­ture Paramount Pictures

Besoin d’autre chose ? Non, c’est à peu près tout le script. Contrairement à Écrit dans le ciel, sor­ti trois ans plus tôt, À l’heure zéro ne se sent pas obli­gé d’être un vrai film avec des per­son­nages étu­diés : ici, seul le pilote rem­pla­çant a droit à un sem­blant de per­son­na­li­té, avec son drame de la guerre, sa femme qui le quitte et qu’il rat­trape dans l’a­vion, son fils malade d’a­voir bouf­fé n’im­porte quoi, tout ça. Les seconds rôles ne sont qu’é­bau­chés, lors­qu’ils ne sont pas car­ré­ment réduits au sta­tut d’élé­ment du décor. Du coup, cette œuvre est beau­coup plus courte (une heure de moins, quand même !), beau­coup plus directe, mais aus­si beau­coup moins construite et sen­si­ble­ment plus pauvre que son aînée.

Faute de vrai scé­na­rio, À l’heure zéro est sur­tout inté­res­sant sur un plan his­to­rique, plus peut-être que Écrit dans le ciel. En effet, il annonce beau­coup mieux la vague des Airport. D’abord, il empile les dif­fi­cul­tés avec obs­ti­na­tion : il conjugue inva­li­da­tion des pilotes, angoisses et démons du rem­pla­çant et météo médiocre pour faire mon­ter la sauce. Ensuite, on voit appa­raître ici les fameux pas­sa­gers pas­sifs qui ne servent qu’à faire du bruit et à pani­quer, qui ont fait hur­ler de rire les spec­ta­teurs des Airport.

Le héros pilotait des Spitfire, nous dit-on. - capture Paramount Pictures
Le héros pilo­tait des Spitfire, nous dit-on. — cap­ture Paramount Pictures

Plus absurde encore, le mon­tage catas­tro­phique des flashes-back per­met au héros de pilo­ter un Spitfire, deve­nu un Hawk de pro­fil, avec des mitrailleuses de capot comme un Bf 109 ; et quand ses équi­piers s’é­crasent, on voit dis­tinc­te­ment la croix de la Luftwaffe sur un des appa­reils ! C’est typi­que­ment le genre de bourde qui pul­lu­lait dans Airport 80 Concorde.

Enfin, le coup du couple en déli­ca­tesse qui se retrouve aux com­mandes d’un avion de ligne est éga­le­ment direc­te­ment décal­qué dans 747 en péril, qui a juste adop­té une méthode un peu plus spec­ta­cu­laire pour se débar­ras­ser des pilotes initiaux.

Dis-moi, tu aimes les films de gladiateurs ? - capture Paramount Pictures
Dis-moi, tu aimes les films de gla­dia­teurs ? — cap­ture Paramount Pictures

Mais plus que les Airport, À l’heure zéro a sur­tout don­né nais­sance au célèbre Y a‑t-il un pilote dans l’a­vion ? : sou­vent pré­sen­té comme une paro­die des Airport (et plus par­ti­cu­liè­re­ment du deuxième), celui-ci a évi­dem­ment sur­fé sur leur suc­cès, mais il est fon­da­men­ta­le­ment basé sur À l’heure zéro, qu’il décalque qua­si­ment scène par scène au point d’a­voir un temps été pré­sen­té comme une adaptation.

En met­tant de côté l’as­pect his­to­rique, cette série B assu­mée reste bien moins ridi­cule que beau­coup d’autres choses sur le plan tech­nique. Le script, écrit par un ancien pilote, fait preuve de réa­lisme sur cer­tains détails : le finale doit pou­voir ser­vir de check-list à qui­conque vou­drait poser un DC‑4 et la demi-heure pré­cé­dente pré­sente assez bien le défi que ça pou­vait être, dans les années 50, de rame­ner à bon port un avion de ligne éga­ré (pas de trans­pon­deur, pas de radio-navi­ga­tion effi­cace, pas d’ILS…).

À l’heure du bilan, on note donc à la fois volon­té réa­liste et scé­na­rio ban­cal, acteurs aléa­toires, rebon­dis­se­ments télé­pho­nés et mon­tage pathé­tique. Bref, avoir un pilote comme auteur n’est pas for­cé­ment l’i­dée du siècle sur le plan ciné­ma­to­gra­phique, même si ça fait plai­sir aux pinailleurs dans mon genre.