Love & friendship

de Whit Stillman, 2016, *

En 1891, Edison met au point le kiné­to­scope, qui ins­pire quatre ans plus tard le ciné­ma­to­graphe des frères Lumière — lequel invente la pro­jec­tion sur grand écran pour que tout le monde puisse voir en même temps le même film. Dans les années qui suivent, plein de gens se mettent à faire des films de plus en plus longs, de plus en plus com­plexes, pour racon­ter de plus en plus de choses. À l’é­poque, il appa­raît rapi­de­ment que celui qui devien­dra le popu­laire « ciné­ma » a une dyna­mique propre : bien qu’il cap­ture la lumière, il n’est pas une suite de pho­to­gra­phies ; bien qu’il uti­lise le mou­ve­ment, il n’est pas une per­for­mance d’ac­teur ; bien qu’il raconte des his­toires scé­na­ri­sées et jouées, il n’est pas du théâtre.

Une femme qui s'habille en rose est forcément mauvaise. - photo Bernard Walsh
Une femme qui s’ha­bille en rose est for­cé­ment mau­vaise. — pho­to Bernard Walsh

Ce der­nier point parais­sait évident : le théâtre repose sur le texte, et le ciné­ma était muet. Il fal­lait donc recou­rir à d’autres méthodes pour nar­rer et trans­mettre des émo­tions. Avec l’ar­ri­vée du ciné­ma par­lant, cer­tains ont essayé de fil­mer des pièces de théâtre, mais le résul­tat était tou­jours catas­tro­phique, confir­mant que la dyna­mique nar­ra­tive du ciné­ma était bel et bien à part. Depuis, rares ont été les exemples de ciné­ma théâ­tral, avec des textes ver­beux décla­més par des acteurs pou­drés qui se croyaient encore à la cour de Louis XIV, et même les adap­ta­tions de pièces passent habi­tuel­le­ment par une réécri­ture et sys­té­ma­ti­que­ment par une re-mise en scène radi­ca­le­ment dif­fé­rente (quitte à être éga­le­ment ratée à sa façon, comme l’a prou­vé Justin Kurzel).

C’est donc une per­for­mance rare que réa­lise ce Love & friend­ship : bien qu’a­dap­té d’un roman, il s’a­git de théâtre fil­mé. Avec une poi­gnée de décors fixes, des acteurs sta­tiques posés dans des scènes figées, des répliques longues ser­vies d’un ton ampoulé.

Sauf qu’il n’a pas l’ex­cuse d’être réel­le­ment une repré­sen­ta­tion fil­mée, comme on a par­fois pu le voir, non : c’est du ciné­ma, tour­né façon ciné­ma, mais garan­ti 100 % théâtral.

— Donnez-moi ce script, je veux savoir ! — Très chère, vous ne lirez le scénario qu'après avoir signé votre contrat ! — Mon Dieu, j'aurais voulu l'avoir lu avant… photo Bernard Walsh
— Donnez-moi ce script, je veux savoir !
— Très chère, vous ne lirez le scé­na­rio qu’a­près avoir signé votre contrat !
— Mon Dieu, j’au­rais vou­lu l’a­voir lu avant…
pho­to Bernard Walsh

Ajoutons un truc : c’est plein de conver­sa­tions enten­dues, de trom­pe­ries, de mani­gances éven­tées ou non, de portes qui claquent. Ça a tout du Vaudeville, sauf l’as­pect drôle et pri­me­sau­tier. C’est donc du Vaudeville sérieux et par­fois un brin mora­li­sa­teur (mal­gré l’im­mo­ra­li­té fla­grante de 90 % de ses per­son­nages), ce que l’on peut résu­mer aisé­ment en deux mots : épou­van­ta­ble­ment chiant.

Pourquoi pas « troll », alors, me direz-vous ?

Et bien, je crois que c’est une grande pre­mière, mais j’ai bien aimé le recons­ti­tu­tion des inté­rieurs et des cos­tumes. Il y avait un vrai soin gra­phique sur ces aspects super­fi­ciels, loin de contre­ba­lan­cer le fond bâclé et pré­ten­tieux, mais qui ne per­met pas de dire qu’il n’y a rien à sauver.