13 hours

chef-d’œuvre de Michael Bay, 2016

Mais qu’ar­rive-t-il à Michael Bay ? Après Pain & gain, où il se lais­sait aller à une forme d’au­to-cri­tique en admet­tant ouver­te­ment que ceux qui regardent ses films sont des cré­tins et qu’il est légi­time de se foutre de leur gueule, le voi­là qui nous fait un film de guerre sobre, sans chi­chis, avec une ambiance rai­son­na­ble­ment ren­due et une pré­sen­ta­tion presque hon­nête des choses. Adieu le patrio­tisme dégou­li­nant et les Américains intou­chables qui ont tou­jours rai­son : bien­ve­nue dans un uni­vers où l’on se pose des ques­tions, où les rap­ports entre Libyens et Américains sont com­plexes, où la pré­sence occi­den­tale au pays de Kadhafi ne va pas de soi et où la « libé­ra­tion » pro­mise res­semble plus à un champ de ruines qu’à une terre d’abondance.

On passe trois mois ici, on rentre chez nous et on s'occupe de nos gosses. - photo Christian Black pour Paramount Pictures
On passe trois mois ici, on rentre chez nous et on s’oc­cupe de nos gosses. — pho­to Christian Black pour Paramount Pictures

Que dire des per­son­nages ? Leurs gros bras sont là pour col­ler aux habi­tudes, mais ce sont des pères de famille, qui ont rem­pi­lé dans la sécu­ri­té pri­vée parce qu’ils n’ar­ri­vaient pas à rem­bour­ser leurs cré­dits avec des salaires de ven­deurs de voi­tures. Loin de l’hé­roïsme dépla­cé des pro­ta­go­nistes de Pearl Harbor, voi­ci des hommes ordi­naires qui font ce qu’ils savent faire en espé­rant ren­trer rapi­de­ment embras­ser leurs gosses. Et cette évo­lu­tion se retrouve côté réa­li­sa­tion, Michael ayant lais­sé de côté ses explo­sions spec­ta­cu­laires et son mon­tage fré­né­tique pour pro­po­ser une œuvre plus directe, pré­fé­rant la dure réa­li­té du ter­rain aux effets de manche artificiels.

Le résul­tat est éton­nam­ment convain­cant, lor­gnant du côté de Démineurs dans la forme d’Apocalypse now dans le fond : Michael Bay vient de mon­trer avec brio qu’il pou­vait faire un film d’ac­tion, mais un film d’ac­tion intel­li­gent, rai­son­nable et presque subtil.

Je cor­rige : de Michael Bay, 2016, ***

Bon, déso­lé, c’est le pre­mier avril, fal­lait bien que je fasse quelque chose.

En véri­té, on retrouve bien Mickey comme on l’aime : patriote jus­qu’au bout des ongles, avec des héros qui disent des trucs vache­ment pro­fonds (genre « ces pauvres types ne savent pas ce qui va leur arri­ver : on va déchaî­ner l’en­fer sur eux » quand trois mecs en Kalashnikov se pointent au bout de la rue) et qui se torchent avec le règle­ment (tout le monde sait qu’à la CIA, un vrai héros pose ses couilles sur la table et dit « je fais ça, point » à ses supé­rieurs). Bien sûr, tous les héros sont inter­chan­geables et bien enten­du, on y va cres­cen­do dans la des­truc­tion avec une scène finale qui res­semble à une seule explo­sion longue d’une demi-heure.

Ça pète ? Non, ça fait que commencer. - photo Paramount Picture
Ça pète ? Non, ça fait que com­men­cer. — pho­to Paramount Picture

Et bien enten­du, le stars and stripes est pré­sente au début, au milieu et à la fin, et le géné­rique est lan­cé sur les por­traits des Américains de la vraie vie qui ont ins­pi­ré le film et qui étaient des grands héros qui ont ser­vi cou­ra­geu­se­ment cette grande nation, tout ça.

Ceci dit, tout pre­mier avril que l’on soit, j’ai pas mis que des conne­ries dans la pre­mière par­tie de cette cri­tique. En fait, elle est même assez valable pour les trois pre­miers quart d’heure du film, plus sobres et moins cons que les grands clas­siques d’ac­tion des Bay-Sommers-Emmerich. D’abord, il y a une ten­ta­tive pour appro­fon­dir un peu les per­son­nages et leur don­ner une famille, des res­pon­sa­bi­li­tés et des aspi­ra­tions, même si c’est fait avec la sub­ti­li­té d’une main au cul dans un bar à deux heures du mat. Et sans remettre en ques­tion les ingé­rences amé­ri­caines au Maghreb et au Proche-Orient, l’am­bi­guï­té de la situa­tion est bien ren­due : les Américains sont à che­val entre invi­tés, squat­teurs et occu­pants, les Libyens sont à la fois amis, sou­tiens, lâcheurs et enne­mis, et les rela­tions oscil­lent en per­ma­nence entre bonne volon­té, méfiance, inté­rêts com­muns, incom­pré­hen­sion et haine. Et dans cette pre­mière par­tie, on sera sur­pris de voir peu d’ex­plo­sions, et des explo­sions simples, sans boules de feu par­cou­rant des kilo­mètres avec coups de basse pour asseoir le spec­ta­teurs dans son siège.

La seconde par­tie, en revanche, comme je le disais, c’est bien du Michael Bay qui pète et qui claque, qui prend tota­le­ment par­ti pour ses héros et jus­ti­fie sans hési­ter de raser une ville pour sau­ver une paire d’Américains.

L'obus au premier plan d'un ralenti : la délicatesse selon Michael Bay. - photo Paramount Pictures
L’obus au pre­mier plan d’un ralen­ti : la déli­ca­tesse selon Michael Bay. — pho­to Paramount Pictures

Difficile du coup de tran­cher : on peut voir ici une évo­lu­tion du ciné­ma de Michael Bay, qui s’é­loi­gne­rait des rives emme­ri­chiennes pour se rap­pro­cher des Kathryn Bigelow ou de films de guerre réa­listes comme Du sang et des larmes ; mais on peut aus­si y voir un échec de l’i­ma­gi­na­tion, comme si le réa­li­sa­teur n’a­vait en véri­té pas dans son logi­ciel interne les clefs pour exploi­ter cor­rec­te­ment sa mise en place et était inca­pable d’i­ma­gi­ner un finale autre qu’une explo­sion de vio­lence com­plai­sante sur fond de Star-span­gled ban­ner.

Une chose est en tout cas cer­taine, c’est que ceci n’est pas le gros navet hyper-bour­rin atten­du, ou du moins, n’est pas que ça. Et rien que ça, c’est une bonne surprise.