Divergente

de Neil Burger, 2014, **

Ça se passe dans quelques décen­nies, après la guerre. La civi­li­sa­tion a été recons­truite en assi­gnant à cha­cun une « fac­tion », cor­res­pon­dant à une place dans la socié­té. À son arri­vée à l’âge adulte, chaque jeune rentre donc dans l’un des groupes : il pour­ra être Catho, par­don, je vou­lais dire Altruiste, s’ha­biller de gris et vouer sa vie à aider son pro­chain ; ou Intello, par­don, Érudit, aimer le bleu et étu­dier froi­de­ment les choses ; ou Crétin, je veux dire Sincère, être en noir et blanc et dire la véri­té ; ou Hare Hippie, oups, Fraternel, et faire pous­ser des fruits en robe orange ; ou enfin Jets, c’est-à-dire Audacieux, mettre du cuir noir et sau­ter des trains en rythme avec ses potes.

Ça vous rap­pelle un truc ? Ah oui, moi aus­si. Sauf qu’il y a plus d’in­tel­li­gence dans un dis­cours du Sorting Hat¹ que dans tout Divergente, et que dans Harry Potter les quatre mai­sons cor­res­pondent à des valeurs (cou­rage, intel­li­gence, tra­vail et ambi­tion) et pas à un mélange bâtard de traits de carac­tère (pas savoir men­tir), de valeurs reli­gieuses (l’ab­né­ga­tion) et de cri­tères tech­niques (l’in­tel­li­gence). Enfin bref.

Donc, tout l’in­té­rêt du truc, c’est l’hé­roïne, qui est « diver­gente » — le test dit qu’elle est à la fois auda­cieuse, éru­dite et altruiste. Bon, là aus­si, ça devrait vous rap­pe­ler un truc : « Tu pour­rais très bien t’en sor­tir, tu sais, c’est tout là dans ta tête, et Serpentard t’ai­de­ra sur le che­min de la gran­deur, ça ne fait aucun doute… Non ? Bon, si tu es sûr, ça sera GRYFFONDOR !« ²

Mais per­sonne doit savoir qu’elle est diver­gente, vu que les diver­gents c’est rien que des emmer­deurs qui rentrent pas dans les cases et que donc mieux vaut les buter, alors la gamine file chez les Audacieux, ce qu’on savait dès le début puis­qu’ils sont les seuls à pas être pré­sen­tés comme des robots abru­tis (eux, c’est des dan­seurs cré­tins), en prê­tant au pas­sage ser­ment avec son sang grâce à un cou­teau par­ta­gé entre tous les gamins qui sont triés ce jour-là — dans leur uni­vers, y’a même pas de rhume, alors des trucs comme les hépa­tites et le Sida c’est car­ré­ment inima­gi­nable, d’ailleurs plus loin elle échange car­ré­ment une seringue avec un type sans que ça étonne personne.

Là, elle paraît pas douée et fran­che­ment mal bar­rée au début, mais elle pro­gresse au fil des coups, apprend à se battre et se révèle douée pour les armes de jet, toute res­sem­blance avec Hunger games serait for­tuite. Et y’a un prof méchant contre qui elle ose ouvrir sa gueule et un prof gen­til qui s’in­té­resse à elle, et deux espèces de clans par­mi les gosses, et ils apprennent à cap­tu­rer un dra­peau en sacri­fiant un mor­ceau du groupe dans une attaque fron­tale, bref, la prin­ci­pale dif­fé­rence avec La stra­té­gie Ender c’est que Viola Davis roule pas de galoche à Asa Butterfield à la fin. Et bien sûr, la gamine va se retrou­ver embrin­guée dans une bas­ton contre les vilaines auto­ri­tés cor­rom­pues avec une dose de poli­tique-fic­tion au milieu, ça aus­si si vous avez vu Hunger games : l’embrasement vous serez pas trop dépaysé.

À ce stade, vous devez donc com­prendre que ça manque dra­ma­ti­que­ment d’o­ri­gi­na­li­té, que c’est construit sur des fon­da­tions en car­ton et que les pièces sont cou­sues de fil blanc.

Mais vous pour­riez encore croire qu’il y a des choses à sau­ver côté tech­nique, alors je vais vous aider : y’a au moins une scène où, sur un gros plan sur un visage (y’a plein de gros plans au grand-angle, on se croi­rait presque chez Jeunet), la mise au point est faite sur les che­veux, der­rière l’o­reille, au lieu d’être sur l’œil, et vue la com­po­si­tion il est clair que ça n’est pas volon­taire. J’avais déjà noté la qua­li­té toute rela­tive de la pho­to de Hanna, fil­mé par le même direc­teur de la pho­to­gra­phie, et c’est hélas révé­la­teur de la qua­li­té du film : les décors sont pas tou­jours très cré­dibles et les images de syn­thèse assez médiocres — pour, notam­ment, une scène de tyro­lienne qui aurait pu être faite en vrai dans n’im­porte quel parc d’at­trac­tion… Quant à la direc­tion d’ac­teurs, elle laisse fran­che­ment à dési­rer, ceux-ci jouant très bien ou très mal selon leur bon vou­loir, d’une scène à l’autre : il semble clai­re­ment avoir man­qué quel­qu’un pour dire des choses comme : « bon, pou­lette, c’est pas mal, mais tu peux la refaire avec un poil plus de peur ? Okay, coco, main­te­nant, tu me fais une ver­sion colère mais sans ce truc avec ton sour­cil mer­ci. Ah, par­fait Theo, la scène où t’as l’air d’une huître elle est par­faite, on la garde. »

Globalement, en fait, seul le mon­tage sauve l’en­semble, avec quelques accé­lé­ra­tions bien­ve­nues et un rythme glo­ba­le­ment très bien géré.

Bien sûr, là, je suis un peu vache. Au fond, Divergente n’est pas vrai­ment mau­vais, pas vrai­ment mal joué, pas vrai­ment mal écrit, c’est au ciné­ma ce qu’un duo Daniel Powter — Avril Lavigne serait au rock’n’­roll. En fait, le truc qui me gave vrai­ment dans Divergente, c’est que j’ai l’im­pres­sion de l’a­voir vu vingt fois en trois semaines, mor­ceau par mor­ceau, comme si c’é­tait juste un patch­work fait à par­tir des rushes d’autres films familio-sf-dystopico-adolescents.

¹ Désolé pour Jean-François Ménard, mais je ne m’au­to­rise pas cet ignoble jeu de mots sur le « choix­peau magique ».

² Harry Potter et la pierre phi­lo­so­phale, cha­pitre 7. J’ai pas la ver­sion fran­çaise sous la main, donc tra­duc­tion par mes soins, sauf pour les noms des mai­sons où j’ai gar­dé ceux de Ménard.