Eyes of war

de Danis Tanovic, 2009, ****

Ils sont deux, pho­to­graphes de guerre depuis des années. David, dont la femme doit accou­cher d’une semaine à l’autre, et Mark couvrent la guerre ira­ko-kurde à la fin des années 80. En atten­dant la grande offen­sive que les Kurdes pré­parent, ils s’oc­cupent et pho­to­gra­phient un hôpi­tal de cam­pagne, où toute arri­vée de sol­dats bles­sés com­mence par le « triage« ¹ : à ceux qui peuvent vivre, une marque jaune ; à ceux qui ago­nisent, une marque bleue deman­dant qu’on les porte jus­qu’au cime­tière, où ils seront bénis et euthanasiés.

Mark veut suivre les Kurdes jus­qu’à avoir « la » pho­to, tan­dis que David, dégoû­té et bla­sé, veut ren­trer en Irlande et ces­ser le repor­tage de guerre. Le jour de l’of­fen­sive, celui-ci prend à pieds le cap retour ; Mark, pour sa part, finit sur une civière après avoir failli perdre ses jambes, et est rapa­trié boi­teux à Dublin… où David n’a pas reparu.

Le film est un peu sévè­re­ment tran­ché en deux par­ties. La pre­mière, c’est le Kurdistan, le repor­tage de guerre, peut-être plus exi­geant encore en ces temps où le télé­phone par satel­lite n’exis­tait pas plus que le reflex numé­rique, et elle n’est pas sans rap­pe­ler Le pho­to­graphe (de Guibert et Lefèvre, contant une mis­sion de celui-ci à la même époque en Afghanistan). C’est fort, pre­nant, passionnant.

La deuxième, c’est l’Irlande, les rela­tions avec sa femme et celle de David, qui se demandent où est pas­sé celui-ci, com­ment Mark a pu se bles­ser aus­si griè­ve­ment et pour­quoi celui-ci leur main­tient que tout va bien alors qu’il souffre mani­fes­te­ment d’être ren­tré seul. C’est aus­si fort, ça parle beau­coup de culpa­bi­li­té et de sur­vi­vance, et ça repose presque entiè­re­ment sur les épaules de Colin Farrell — qui a les épaules lar­ge­ment assez solides pour assu­mer le rôle, les doutes, les hési­ta­tions de son per­son­nage, rassurez-vous².

La fai­blesse du film, c’est pré­ci­sé­ment cette dicho­to­mie. On a un peu l’im­pres­sion de vivre deux films sépa­rés, les deux par­ties ne se rejoi­gnant que par l’his­toire qu’elles déroulent et un écho de détails mais pei­nant à se lier et à se sou­te­nir mutuel­le­ment. C’est tou­jours excellent, mais il faut se repro­gram­mer le cer­veau au milieu et cette gym­nas­tique casse un peu le rythme.

¹ Titre ori­gi­nal du film, bien plus évo­ca­teur que le titre « fran­çais » officiel…

² Pour ma part, je lui voue un petit culte païen depuis Bons bai­sers de Bruges et, plus encore, depuis Crazy heart, pour lequel il est abso­lu­ment hon­teux qu’il n’ait pas eu l’Oscar du meilleur second rôle.