La chute de Londres

bou­sasse liquide de Babak Najafi, 2016

Le pre­mier essai, quoique très bien ajus­té, avait raté sa cible : il n’a­vait pas réus­si à vrai­ment m’é­ner­ver. La faute à Antoine Fuqua, un réa­li­sa­teur très effi­cace dans ce registre, qui était par­ve­nu à don­ner du rythme à un scé­na­rio rai­son­na­ble­ment cré­tin. Pour le second volume, la pro­duc­tion a donc sor­ti pelles et pioches et com­men­cé à creu­ser ; à par­tir du moment où Tony a refu­sé de le réa­li­ser parce que le script était trop pour­ri à son goût, ils se sont dit que ça sen­tait bon. Ils l’ont rem­pla­cé par l’obs­cur réa­li­sa­teur d’un mélo-polar amé­ri­ca­no-rou­main, qui a lui aus­si jeté l’é­ponge pour « dif­fé­rends artis­tiques » et a lais­sé la place au fai­seur d’une suite d’un polar sué­dois de série B : prometteur.

Cette fois, c’est tout Londres qui est pris par des ter­ro­ristes san­gui­naires. Plus encore que dans le pre­mier, il y a les bons et les mau­vais : aucun retour­ne­ment de veste n’est cette fois au pro­gramme, aus­si télé­pho­né soit-il. Et si le pre­mier avait une excuse pour ne s’in­té­res­ser qu’aux Américains (ça se pas­sait à la Maison-Blanche), le second réus­sit un exploit abso­lu : alors que les chefs d’État d’une ving­taine de pays, de l’Italie au Japon en pas­sant par le Canada, sont tous abat­tus en quelques minutes, non seule­ment seul le pré­sident des États-Unis et son pré­cieux garde du corps s’en sortent, mais tous les moyens de la police et des ser­vices secrets lon­do­niens semblent dédiés à sa seule per­sonne ; plus dingue encore, toute la pla­nète est immé­dia­te­ment et com­plè­te­ment sou­la­gée lors­qu’il est hors de dan­ger. On a l’ha­bi­tude que les Américains tuent six mille étran­gers pour sau­ver un Américain (au moins au ciné­ma), mais là, l’en­semble de l’OCDE par­ti­cipe sans aucune consi­dé­ra­tion pour ses propres res­sor­tis­sants : à ce stade de patrio­tisme obtus, on se dit que le scé­na­rio doit avoir été écrit par Chris Kyle.

Mince, l'hélico est dans le même état que le scénariste, va falloir marcher. - photo Travis Topa pour Facus Features
Mince, l’hé­li­co est dans le même état que le scé­na­riste, va fal­loir mar­cher. — pho­to Travis Topa pour Facus Features

On peut évi­dem­ment s’a­mu­ser à cher­cher les invrai­sem­blances, comme le fait qu’on appelle « Marine Two » le pre­mier héli­co­ptère de l’es­corte (cet indi­ca­tif est réser­vé à l’ap­pa­reil trans­por­tant le vice-pré­sident et n’est donc pas uti­li­sé quand Morgan Freeman est à terre) ou la scène où un motard qui oublie de frei­ner tra­verse une vitre qui résiste aux balles. Mais en fait, la vraie invrai­sem­blance, celle qui est tota­le­ment cho­quante et impar­don­nable, com­mence après dix minutes quand le héros, seul avec son pis­to­let, tire à peu près 453 car­touches pour abattre 155 assaillants en deux minutes et en rechar­geant deux fois. Et elle se ter­mine quand le héros et le pré­sident arrivent aux États-Unis, après avoir tué plus d’Anglais que les 600 ter­ro­ristes réunis et avec les féli­ci­ta­tions du monde libre récem­ment sauvé.

On aurait pu, une seconde, croire que les frappes aveugles seraient remises en cause : après tout, l’his­toire com­mence avec un drone qui dégomme tout un mariage pour tou­cher un enne­mi public (toute res­sem­blance avec Homeland serait for­tuite). Mais Dieu mer­ci, tout cela ne dévie pas en réflexion mal­ve­nue sur la légi­ti­mi­té des États-Unis à s’ar­ro­ger le droit de buter des dizaines d’é­tran­gers : le Predator fait l’ob­jet d’une superbe épa­na­di­plose pour révé­ler la vraie morale du film, « si tu rates ta cible, ajoute un missile ».

Je vais te torturer avec ton frère au téléphone, ça sert à rien mais ça m'amuse. Une objection ? - photo Focus Features
Je vais te tor­tu­rer avec ton frère au télé­phone, ça sert à rien mais ça m’a­muse. Une objec­tion ? — pho­to Focus Features

À un tel niveau de cré­ti­ne­rie, on pour­rait croire que c’est volon­taire, exa­gé­ré et paro­dique. Mais ce serait une sup­po­si­tion tota­le­ment gra­tuite : rien, nulle part, ne vient la sou­te­nir (sinon l’i­dée que per­sonne ne peut être assez débile pour faire sérieu­se­ment un truc aus­si con). Le film est épou­van­ta­ble­ment sérieux et c’est en vain que l’on cher­che­rait un indice sur son pos­sible second degré.

Qu'est-ce que je fous là, moi, déjà ? Ah oui, c'est vrai : le chèque. - photo David Appleby pour Focus Features
Qu’est-ce que je fous là, moi, déjà ? Ah oui, c’est vrai : le chèque. — pho­to David Appleby pour Focus Features

La réa­li­sa­tion est pour sa part en par­faite adé­qua­tion avec le scé­na­rio : c’est un des bour­ri­nages les plus épais que j’aie eu l’oc­ca­sion de voir, avec des scènes d’ac­tion enchaî­nées pen­dant une heure et demie sans un ins­tant de répit, les rares secondes de repos étant gâchées par des effets sonores ou musi­caux aus­si légers que Mike Banning en tenue anti­ter­ro­riste — le « silence », pour Babak Najafi, c’est un son car­ré à 80 dB, n’ou­bliez pas vos boules Quiès.

L’ensemble réus­sit donc là où son pré­dé­ces­seur avait échoué : faire une entrée fra­cas­sante dans mon top des gros navets qui tachent. Mieux vaut voir ça que d’être aveugle — mais uni­que­ment parce qu’être aveugle n’empêche pas de l’entendre.