Homeland

de Alex Gansa, Gideon Raff et Howard Gordon, depuis 2011, ****

Un pri­son­nier ira­kien, à la veille de son exé­cu­tion, le souffle à l’o­reille de Carrie, agent de la CIA : « un pri­son­nier de guerre amé­ri­cain a été retour­né. » C’est court, mais ça ne tombe pas dans l’o­reille d’une sourde : ren­trée au pays, elle guette les arri­vées de G.I., Marines et avia­teurs libé­rés en cher­chant lequel serait le nou­vel agent d’Al-Qaida. Et dans le lot, Nick Brody, tireur d’é­lite des Marines, ferait un bon can­di­dat : huit ans de déten­tion, traî­né d’Irak en Syrie à l’é­poque ou un diri­geant d’Al-Qaida y était pré­sent et refu­sant de don­ner des détails sur la façon dont son équi­pier est mort…

Il y a plein d’as­pects trai­tés dans Homeland. Le pre­mier est évi­dem­ment la para­noïa, éri­gée en sport natio­nal depuis les atten­tats sur­ve­nus le 11 sep­tembre 2001 et géné­ra­li­sée bien avant à la CIA : ce type, là, il y a une chance qu’il soit agent double, une chance qu’il n’en soit pas un, rien n’in­cite for­mel­le­ment à pen­ser qu’il puisse être autre chose qu’un sol­dat de retour en plein stress post-trau­ma­tique mais quand même, on va fouiller et re-fouiller jus­qu’à ce qu’on trouve quelque chose.

Le deuxième est logi­que­ment le retour à domi­cile après des années de déten­tion : Brody doit se réadap­ter à une vie civile, sa femme doit se re-faire à sa pré­sence, ses enfants redé­couvrent un père dont ils se sou­ve­naient à peine. Et l’a­mi de dix ans, celui avec qui Brody a fait ses classes et qui a sou­te­nu la famille pen­dant toute sa déten­tion, est-il vrai­ment res­té sem­per fide­lis ?

Le troi­sième aspect cen­tral est le res­pect de la vie pri­vée, ou com­ment un agent hors contrôle de la CIA peut faire tout et n’im­porte quoi, se tor­cher avec les droits consti­tu­tion­nels de simples citoyens et péné­trer leur inti­mi­té qua­si­ment sans rendre de comptes.

Le qua­trième, long à arri­ver mais cen­tral dans cette pre­mière sai­son, est la notion de crime de guerre, la cou­ver­ture des bavures mili­taires et la sépa­ra­tion bru­tale et iné­luc­table que ce refus de res­pon­sa­bi­li­té entraîne entre les don­neurs d’ordres (et leurs pays) et les « dégâts col­la­té­raux » (et leurs familles). Le ter­ro­riste est-il celui qui fait péter une bombe dans un square de Washington ou celui qui fait bom­bar­der une école ira­kienne par un Predator ? Rien qu’en­tendre cette ques­tion dans une série amé­ri­caine, ça fait plaisir…

Le reste est plus du domaine de la série poli­cière clas­sique, avec une enquête, des per­son­nages qui ont des réac­tions bizarres une fois bour­rés, des divorces et des coups de foudre, des caprices et des coups de boule.

La grande qua­li­té de la série, c’est son refus de juger ses per­son­nages, qui font ce qu’ils font cha­cun en fonc­tion de ses pos­si­bi­li­tés, de ses occa­sions, de ses pul­sions, de ses convic­tions aus­si. On peut d’ailleurs voir dans le final de la pre­mière sai­son une confir­ma­tion que la CIA et le FBI doivent avoir plus de liber­té d’en­quête ou un plai­doyer pour le Bill of Rights, une jus­ti­fi­ca­tion du ter­ro­risme ou une apo­lo­gie de la solu­tion poli­tique, une vali­da­tion de la para­noïa natio­nale ou une demande de main ten­due et de confiance…

Du coup, ça laisse cha­cun y trou­ver ce qu’il veut, ce qui peut peut-être pous­ser à mettre son cer­veau en marche de temps en temps. C’est tou­jours bon à prendre.