Marie Stuart, reine d’Écosse

de Josie Rourke, 2018, **

Màiri a une his­toire peu banale. D’abord, elle a six jours lorsque son père meurt. Et son père, c’est Seumas V, roi d’Écosse1. Seumas avait fini sa vie en se fou­tant sur la gueule avec son oncle, Henry VIII d’Angleterre, qui lui repro­chait de res­ter fidèle au pape. Màiri, une semaine, est donc reine d’Écosse en titre et cible d’in­trigues anglaises et vaticanes.

Elle est envoyée gran­dir en France. À six ans, elle est fian­cée à l’hé­ri­tier du trône, qu’elle épouse neuf ans plus tard. Dans la fou­lée, Henri II ren­contre une écharde. Marie, 16 ans, est donc reine consort de France. L’espérance de vie des rois étant déci­dé­ment très limi­tée, Marie, 17 ans, devient veuve. Elle décide de ren­trer régner sur l’Écosse.

À ce moment-là, de l’autre côté du ruis­seau de Kershope, c’est la fille d’Henry VIII, Elizabeth, qui règne sur l’Angleterre et l’Irlande. Elle est la der­nière-née légi­time de son père : si elle meurt sans enfant, c’est donc sa petite-cou­sine qui récu­père le trône. Mary, 17 ans, est donc héri­tière pré­somp­tive du trône anglais — et nom­breux sont les catho­liques qui vou­draient bien la faire mon­ter en grade tout de suite.

Bon, c’é­tait cool la France, mais le scotch bat le vin. — pho­to Liam Daniel pour Focus Features

Logiquement, la vie de Màiri/Marie/Mary est donc une suc­ces­sion de riva­li­tés, de rumeurs, d’é­pou­sailles, de veu­vages, de coups bas, de mani­pu­la­tions, de tra­hi­sons, qui ins­pi­re­ra nombre d’ar­tistes avides de sus­pense et de mises à mort. D’ailleurs, une prin­cesse envoyée sur une terre orien­tale de l’autre côté de la mer après que son père ait été abat­tu, mariée par com­mo­di­té à un roi local et rapi­de­ment veuve, et qui revient récla­mer son trône et doit pour cela affron­ter une reine crainte de tous, ça vous rap­pelle rien ? Oui, Marie et Daenerys ont trop de points com­muns pour que je croie au hasard.

Et c’est donc le but de Marie Stuart, reine d’Écosse : racon­ter la vie de Marie, de son retour au pou­voir à son exé­cu­tion. (Oui, elle a fini déca­pi­tée. J’espère que je viens pas de nous spoi­ler la der­nière sai­son de Game of thrones. On sau­ra ça dans deux mois.)

Le pre­mier truc que je crai­gnais, c’é­tait le cas­ting : Saoirse Ronan pour Marie, Margot Robbie pour Elizabeth. Je n’ai rien à leur repro­cher en tant qu’ac­trices, mais prendre une Irlandaise pour jouer une Écossaise et une Australienne pour jouer une Anglaise, c’est pro­met­teur en into­na­tions bizarres. Elles s’en sortent en fait toutes deux très bien, et c’est fina­le­ment le fran­çais qui cause le plus d’é­ton­ne­ment : la petite Marie étant arri­vée sur le conti­nent à 5 ans, elle devait le par­ler sans accent (et en tout cas plus aisé­ment que l’an­glais), ce qui n’est pas le cas de Saoirse. On note­ra en pas­sant que curieu­se­ment, les scé­na­ristes ont pla­cé quelques mots de gaé­lique, mais pas un de scots, alors que celui-ci avait alors lar­ge­ment sup­plan­té les langues écos­saises anté­rieures, à la cour et dans une bonne par­tie du pays.

Oui, ben toi aus­si, si t’a­vais eu la variole, tu te maquille­rais un peu trop. — pho­to Focus Features

Le deuxième truc que je crai­gnais, c’é­tait l’ha­gio­gra­phie béate, Marie étant un per­son­nage emblé­ma­tique de l’Histoire dont beau­coup d’au­teurs ont ten­dance à igno­rer les ambi­guï­tés. Et pour le coup, il faut bien le dire : les auteurs ont sau­té dedans les pieds joints. Marie est donc belle, forte, hon­nête, humaine et courageuse.

Elizabeth serait donc la méchante ? Et bien… C’est un peu plus com­pli­qué pour elle : moins belle après sa variole, forte, plu­tôt hon­nête, plu­tôt humaine, cou­ra­geuse, elle est pré­sen­tée comme une grande reine bien qu’un peu plus encline que sa petite-cou­sine à fomen­ter des coups bas. Elle est sur­tout obsé­dée par la conser­va­tion de son trône et prête à tout pour gar­der le pou­voir, y com­pris à consen­tir à l’exé­cu­tion d’une reine.

Les méchants, ce sont sur­tout les hommes, qui consi­dèrent les femmes comme leur pro­prié­té (même celui qui est simple consort d’une reine de droit divin), leur imposent leurs prin­cipes, conspirent contre elles, exigent qu’elles se marient et qu’elles enfantent, sou­lèvent le peuple et les font déca­pi­ter si elles ont un tant soit peu envie d’être indépendantes.

Bien sûr que vous êtes reine. Voilà, vous êtes contente ? Vous pou­vez nous lais­ser déci­der, main­te­nant ? — pho­to Focus Features

Et fina­le­ment, c’est un peu là que le film déçoit : il joue à fond la carte des femmes fortes contre les hommes mes­quins. Qu’Elizabeth et Marie aient dû affron­ter des nobles retors mâles ne fait aucun doute. Qu’elles aient toutes deux eu à déjouer des com­plots est lar­ge­ment docu­men­té. Que Marie elle-même ait dû sa condam­na­tion à des docu­ments fal­si­fiés est plau­sible… mais pas cer­tain. Que Marie et Elizabeth aient été des grandes âmes iso­lées au milieu d’un par­terre de vilains, non. Et l’in­sis­tance du film sur cette guerre des sexes est quelque part stérile.

Les rela­tions entre les deux reines sont un peu mieux menées, entre négo­cia­tions, soli­da­ri­té de prin­cipe, jalou­sies et para­noïa réci­proques. Là encore, le filtre fémi­niste est un peu trop pré­sent, mais ça passe beau­coup mieux. Il est juste éton­nant que l’as­pect reli­gieux soit autant lais­sé de côté : Marie était catho­lique fer­vente (elle se consi­dé­rait d’ailleurs comme une mar­tyre reli­gieuse) tan­dis qu’Elizabeth a enté­ri­né la rup­ture entre l’Église d’Angleterre et l’Église apos­to­lique romaine2. Dans le film, on a l’im­pres­sion que le catho­li­cisme de l’Écossaise est un simple pré­texte uti­li­sé pour lui nuire, alors qu’il y avait un vrai pro­blème poli­tique et reli­gieux derrière.

Les femmes, c’est rien que des sup­pôts de Satan, et en plus celle-ci est catho­lique ! — pho­to Focus Features

Mais la vraie décep­tion n’est pas le fond, fina­le­ment rela­ti­ve­ment conforme à l’Histoire et pas tota­le­ment absurde. La vraie décep­tion, c’est la forme.

Si vous ne connais­sez pas Josie Rourke, c’est nor­mal : ça n’est pas une femme de ciné­ma. Elle a un long et pres­ti­gieux pas­sé théâ­tral, de son pas­sage au club d’arts dra­ma­tique de l’u­ni­ver­si­té de Cambridge à la direc­tion artis­tique du Donmar Warehouse. Elle a diri­gé les plus grands acteurs de théâtre anglo-saxons, de Tom Hiddleston à Judi Dench. Mais ça ne fait pas d’elle une cinéaste.

Et tout au long de Marie Stuart, reine d’Écosse, c’est une évi­dence constante. D’un bout à l’autre, le film semble crier « je veux être une pièce de théâtre !!! » avec obstination.

Ça s’en­tend un peu dans les dia­logues très écrits et la direc­tion d’ac­teurs très arti­cu­lée, mais ça se voit sur­tout dans la mise en scène, figée et sta­tique, et plus encore dans le rythme : on passe des heures à attendre qu’il se passe quelque chose, que prenne fin le silence sépa­rant deux répliques, que le décor change comme on passe d’un acte à l’autre.

Mon cher Rizzio, je dois dire que sans vous, on s’en­nuie­rait ferme. — pho­to Focus Features

Biopic plu­tôt hon­nête quoi­qu’un poil hagio­gra­phique, reven­di­ca­tion fémi­niste man­quant quelque peu de finesse, ce film très bien inter­pré­té souffre donc sur­tout de n’être pas pen­sé comme un film, mais comme une pièce. Or, le rythme du ciné­ma et celui du théâtre ne sont pas les mêmes. Cela nous donne donc un film soi­gné, mais mou comme le sexe d’Henry VIII pen­sant à Anne de Clèves.

  1. Par les miracles de la tra­duc­tion par­fois un peu bru­tale de l’é­poque, vous le connais­sez peut-être en tant que Jacques V.
  2. Henri VIII a pris la tête de l’Église angli­cane et s’est fait excom­mu­nier en repré­sailles, mais il est res­té fidèle à la tra­di­tion catho­lique. C’est sous Elizabeth que la doc­trine angli­cane s’est réel­le­ment sépa­rée et a bas­cu­lé dans une forme de protestantisme.