Écrit dans le ciel

de William Wellman, 1954, ****

Dans les années 70, on voit fleu­rir aux États-Unis une série de films-catas­trophe, géné­ra­le­ment basés sur le même modèle : un fleu­ron de la tech­no­lo­gie (un paque­bot de croi­sière, un gratte-ciel fraî­che­ment construit, une ville entière ou encore un avion) est remis à sa place, soit par la nature, soit par ses propres fai­blesses, pen­dant que les gens à l’in­té­rieur se déchirent, s’ef­fondrent ou résistent tour à tour.

Pas besoin de grosses explosions, en fait. - photo Warner Bros
Pas besoin de grosses explo­sions, en fait. — pho­to Warner Bros

Avec ce recul, dif­fi­cile de ne pas voir dans Écrit dans le ciel un pré­cur­seur — pas seule­ment parce que la tra­duc­tion ne veut rien dire (le titre ori­gi­nal parle de hau­teur et de puis­sance). Il a en effet tous les ingré­dients qui, seize ans plus tard, feront de Airport un suc­cès : un panel de per­son­nages, pré­sen­tés soi­gneu­se­ment les uns après les autres au fil de flashes-back et de dis­cus­sions ; un début non exempt d’une cer­taine ten­sion (Honolulu-San Francisco en DC‑4, c’est au bas mot une dizaine d’heures de vol sans pos­si­bi­li­té de dérou­te­ment), mais où tout est maî­tri­sé ; des signes inquié­tants appa­rais­sant peu à peu, avant que la situa­tion ne dérape com­plè­te­ment ; quelques rebon­dis­se­ments un peu capil­lo­trac­tés et glo­ba­le­ment un hap­py end un poil facile.

Cependant, Écrit dans le ciel a des qua­li­tés qui manquent à Airport (et plus encore à ses suites). D’abord, il est plus équi­li­bré, les his­toires des per­son­nages étant moins cari­ca­tu­rales et mieux ser­vies — il faut dire qu’en 2 h 30, il était pos­sible de soi­gner l’in­té­gra­tion des élé­ments du script. Il se per­met même de ver­ser fran­che­ment dans le bur­lesque, par exemple quand un des pas­sa­gers explique à un autre toutes les galères vécues durant son séjour à Hawaï. Bien enten­du, le jeu des acteurs et le cœur des dia­logues a sacré­ment vieilli, mais on est loin des répliques ridi­cules des com­pa­gnons de Joe Patroni.

Aujourd'hui, un iPhone est trop dangereux pour prendre l'avion allumé, mais à l'époque on avait clopes, briquets et même flingues. - photo Warner Bros
Aujourd’hui, un iPhone est trop dan­ge­reux pour prendre l’a­vion allu­mé, mais à l’é­poque on avait clopes, bri­quets et même flingues. — pho­to Warner Bros

Ensuite, il est mieux docu­men­té : même le pre­mier Airport (de loin le mieux fou­tu de la série) accu­mu­lait les pré­sup­po­sés dis­cu­tables pour accroître le sus­pense. Ici, on a un pro­blème unique, qui dégé­nère logi­que­ment : la rup­ture de l’hé­lice entraîne l’in­cen­die d’un moteur et, les débris ayant per­cu­té l’aile, une perte impor­tante de car­bu­rant. Rien que de très cohé­rent en somme. L’auteur et le réa­li­sa­teur ayant été pilotes, ils ont peut-être débu­gué pas mal de choses et expli­qué cor­rec­te­ment aux acteurs quelle manette uti­li­ser — c’est la pre­mière fois que, dans un film de fic­tion, je vois un copi­lote mettre une hélice en dra­peau cor­rec­te­ment. Je n’ai vu que deux petits pro­blèmes : pour gagner en car­bu­rant « quitte à griller les moteurs », l’é­qui­page joue sur le pas et les gaz mais ne réduit pas la richesse ; et en arri­vant à la côte, les pilotes sont inquiets de pou­voir atteindre l’aé­ro­port, alors qu’en véri­té San Francisco International est à dis­tance de pla­né du Pacifique — et même s’ils manquent de hau­teur pour le der­nier virage, se ger­ber droit devant dans la baie est bien plus sûr que dans l’o­céan. Mais j’ai­me­rais devoir atteindre ce niveau de pinaillage à chaque film d’aviation…

Oui, vous voyez bien : le moteur n°1 est gaz coupé, hélice en drapeau et richesse sur étouffoir. Tout bon. - photo Warner Bros
Oui, vous voyez bien : le moteur n°1 est gaz cou­pé, hélice en dra­peau et richesse sur étouf­foir. Tout bon. — pho­to Warner Bros

En outre, il y a un domaine où Écrit dans le ciel est beau­coup plus sobre et mieux fait qu’à peu près tout ce qui est sor­ti depuis : quand tout part en couille, plu­tôt que de hur­ler comme des dam­nés pen­dant une heure, les pas­sa­gers sont sur­pris, inquiets, pani­qués par­fois, capables d’ac­tion à d’autres moments, bref, ils ont des réac­tions humaines.

L’ensemble est évi­dem­ment loin d’être irré­pro­chable : outre l’in­ter­pré­ta­tion inégale, il y a quelques lon­gueurs et la réso­lu­tion finale est fran­che­ment assez pauvre. Mais cet exemple de film-catas­trophe d’a­vant la vague des films-catas­trophe reste fran­che­ment meilleur que n’im­porte quel Airport et que beau­coup de trucs plus récents, plus cotés et plus coûteux.