Midway

de Roland Emmerich, 2019, *

Le saviez-vous ? Les avions amé­ri­cains, en 42, c’é­tait de la merde. Enfin, ceux de la marine, je veux dire. Les Mitchell de la force aérienne de l’ar­mée de terre, eux, avaient réus­si à décol­ler depuis un porte-avions pour bom­bar­der Tokyo — une vraie réus­site en matière de guerre psy­cho­lo­gique. Mais la marine, elle, comp­tait pour lut­ter contre les navires japo­nais sur des avions au déli­cat fumet d’en­grais naturel.

Le rôle de tor­pilleur était tenu par le Devastator, ain­si nom­mé car son phy­sique ingrat dévas­tait les yeux de tous ceux qui le regar­daient1. Le rôle de bom­bar­dier de pré­ci­sion était confié au Vindicator, un machin tel­le­ment moderne que ses géni­teurs avaient hési­té entre une concep­tion mono­plan et biplan, et au Dauntless, un truc pas vrai­ment hideux mais lourd et mou. Quant à la défense aérienne, elle était basée sur le Wildcat, un ton­neau équi­pé de moi­gnons d’ailes qui pesait 600 kg de plus que ses adversaires.

Moi, dès que je des­cends de mon avion, je lui tourne le dos. C’est tout ce que cette daube mérite. — pho­to Lionsgate

La Navy avait des avions de merde, mais de la merde solide. Il fal­lait une bonne quan­ti­té de muni­tions pour mettre un Dauntless ou un Wildcat à l’eau : ils volaient mal, mais ils volaient avec acharnement.

Et sur­tout, la Navy avait de la tac­tique et des cas­seurs de code. Et pour sau­ver Midway, ça n’é­tait pas du luxe. Dans un pre­mier temps, les très bons Zero ont pu gri­gno­ter tran­quille­ment tout ce qu’ils croi­saient en vol, lais­sant les D3A et B5N défon­cer aisé­ment la base de Midway. Mais la contre-attaque amé­ri­caine fut lan­cée au plus vite avec l’aide d’in­for­ma­tions décryp­tées. Les Devastator ont fait la seule chose qu’ils aient jamais faite rapi­de­ment : aller visi­ter le fond de la baie. Mais ce fai­sant, ils ont réus­si à dis­traire les Nippons : les autres appa­reils amé­ri­cains ont ain­si pu arri­ver avant que l’en­ne­mi se remette de son fou rire, et détruire trois porte-avions japo­nais en dix minutes.

Voilà, en gros2, ce qu’a don­né la bataille de Midway, que Roland Emmerich s’est mis en tête de nous raconter.

ええと。それは本当にアメリカの映画ですか?私は最高の対話を言う印象を持っています! — pho­to Lionsgate

La bonne nou­velle, c’est que Roland a été à peu près hon­nête : on voit bien que les Devastator sont des bouses inter­si­dé­rales, tout juste dépas­sées en nul­li­té par leurs tor­pilles, et que les Dauntless sont loin d’être des mer­veilles. L’autre bonne nou­velle, c’est qu’il a fait un effort de réa­lisme en évi­tant de pré­sen­ter les Japonais comme des vilains méchants traîtres et les Américains comme des gen­tils héros bien­veillants. D’ailleurs, cha­cun a le droit de par­ler sa langue, ce qu’on ne peut qu’ap­prou­ver (même si ça donne une ver­sion fran­çaise bizarre, où les Yankees sont dou­blés en fran­çais et où les Nippons sont sous-titrés).

La mau­vaise nou­velle, c’est que Roland s’est quelque peu lais­sé aller à un cer­tain nombre de ses autres tra­vers, avec la com­pli­ci­té du scé­na­riste Wes Tooke (déjà cou­pable de la série Colony).

D’abord, côté per­son­nages. Si les gra­dés sont à peu près cré­dibles, les héros sont un lot d’a­bru­tis dégé­né­rés, menés par un cow-boy soli­taire réfrac­taire à l’au­to­ri­té. Ils empilent les cli­chés tant dans leur défi­ni­tion que dans leurs réac­tions et leurs dia­logues. Les acteurs ne font rien pour sau­ver la situa­tion : ils passent leur temps à com­men­ter et à s’in­sul­ter comme qui rigole dans des phases de vols où ils sont cen­sés tirer 5 g pour ten­ter d’é­vi­ter des balles.

Ne pleure pas ché­rie, c’est l’i­né­vi­table scène lar­moyante où je pars au com­bat. Mais t’es moins encom­brante que dans Pearl Harbor. — pho­to Lionsgate

Ensuite, côté scé­na­rio. Si la trame géné­rale, bien fixée par l’Histoire, est assez res­pec­tée, les détails sont com­plè­te­ment à l’ouest. À chaque bom­bar­de­ment, on a l’im­pres­sion que tous les héros font exprès de viser à côté, jus­qu’à celui qui a été dési­gné pour mettre la bombe dans le pont, voi­là, cette fois c’est toi. Et jamais ils ne touchent leur cible en redres­sant à l’al­ti­tude pres­crite par les cen­taines d’heures d’es­sais en vol et d’en­traî­ne­ments, non : ils pré­fèrent tous pous­ser jus­qu’à la der­nière seconde pour faire une res­source de héros avec une gri­mace de héros ou mou­rir en héros avec une der­nière bra­vade de héros. Chaque attaque res­semble ain­si exac­te­ment à la pré­cé­dente, dans son dérou­lé comme dans sa conclu­sion, les seules dif­fé­rences étant que les Devastator finissent à la baille alors que les Dauntless rentrent pleins de trous.

Enfin, côté nar­ra­tion. Bon, la bataille de Midway n’est pas la plus lim­pide de l’Histoire : elle com­porte plu­sieurs vagues, qui ne se suc­cèdent pas mais se croisent assez sou­vent. Mais le film reste par­ti­cu­liè­re­ment bor­dé­lique ; j’ai à peu près sui­vi (mer­ci Zéro pour l’é­ter­ni­té entre autres), mais j’en connais qui ne savaient pas trop com­ment s’é­tait dérou­lée la bataille et qui en sont sor­tis en n’ayant abso­lu­ment rien sai­si. Paradoxalement, le côté japo­nais est presque mieux trai­té que le côté amé­ri­cain, par ce miracle tout simple : Roland prend trente secondes pour expli­quer les hési­ta­tions de Nagumo. À l’in­verse, alors même qu’on a pas­sé un quart d’heure à expli­quer com­ment déchif­frer les mes­sages japo­nais et que ça avait l’air super impor­tant, les Yankees semblent juste fon­cer sans réfléchir.

Franchement, je sais pas ce que je fous là. Faut dire, je savais déjà pas ce que je fou­tais dans le Michael Bay. Le jour où ils tour­ne­ront « Doolittle », j’i­ma­gine qu’on me ver­ra juste trente secondes sur Tokyo, entre une heure sur la mer de Corail et une heure sur Hiroshima. — pho­to Lionsgate

Il faut dire que le scé­na­riste a enfreint la pre­mière loi de tout auteur : savoir trier. On ne peut pas tout mettre dans le même roman, et il faut savoir lais­ser des choses de côté quitte à y reve­nir dans une autre œuvre. Le film com­mence donc par perdre une demi-heure à remon­trer avec moult effets spé­ciaux, explo­sions et maquillages le nau­frage de Pearl Harbor, puis une autre à dis­cu­ter du raid de Doolittle. Donc, après avoir pas­sé une heure à regar­der un remake un peu moins gui­mau­vi­neux de l’œuvre fon­da­trice de Michael Bay, il ne reste plus qu’une grosse heure pour racon­ter le cœur de l’his­toire. Pour pas se faci­li­ter la tâche, Roland pré­sente les deux côtés en paral­lèle. Rappelons-nous que Clint, lui, avait car­ré­ment fait deux films pour par­ler d’une seule bataille de chaque point de vue, et ce sans perdre son temps à remon­ter à 1941 !

Pour faire tenir tout ça dans la durée impar­tie, il a donc fal­lu empi­ler les scènes le plus vite pos­sible, ce qui nuit sans doute quelque peu à l’in­tel­li­gi­bi­li­té du résul­tat. Je serais pas éton­né de voir appa­raître un « direc­tor’s cut » en Blu-Ray de 3 h 30 beau­coup plus clair, mais je pren­drai pas le risque de le regar­der si ça arrive.

Techniquement joli, le film est donc plom­bé par des acteurs en car­ton jouant des per­son­nages en papier mâché sur un scé­na­rio en sel humide. Ça n’est même pas vrai­ment nul et invo­lon­tai­re­ment rigo­lo comme pou­vait l’être Pearl Harbor, c’est juste piètre.

  1. On peine à croire que la même entre­prise avait des­si­né le DC‑3…
  2. Et avec une petite dose de mau­vaise foi glis­sée çà et là.