Doctor Sleep

de Mike Flanagan, 2019, ****

Il y a des gens qui aiment prendre des baffes. Mike Flanagan en fait sans doute par­tie : il a accep­té la gageure d’a­dap­ter au ciné­ma Docteur Sleep, roman de Stephen King, suite de L’enfant lumière, adap­té en son temps par Stanley Kubrick. Il avait donc le choix : adap­ter fidè­le­ment Docteur Sleep et voir les fans de Kubrick cru­ci­fier son équipe tout le long de la route de chez lui jus­qu’au stu­dio ; faire une suite au film et voir les ama­teurs de King l’at­tendre en habit de clown avec des armes blanches ; adap­ter l’un en réin­té­grant des élé­ments de l’autre, et ne satis­faire per­sonne. Quoi qu’il fasse, Mike était sûr de mettre en furie au moins une horde de reli­gieux intégristes.

Faut que je repère les lieux, dans 35 ans je repas­se­rai par là… — pho­to Warner Bros

Il opta pour le der­nier choix. C’était sans doute le meilleur : pen­dant que les fana­tiques du papier et de la pel­li­cule s’é­tripent pour savoir s’il fal­lait reve­nir à l’hô­tel ou pas, s’il fal­lait remettre l’ac­cent sur l’al­coo­lisme ou pas, si la rou­geole était impor­tante ou pas, et bien… Pendant ce temps, ils ne cri­tiquent pas le scénariste-réalisateur-monteur !

La trame géné­rale de Doctor Sleep étend et explique celle de Shining, ce qui est déjà un bon point — tant Kubrick s’é­tait per­du dans sa réécri­ture. En jouant moins sur la folie pure et plus sur le fan­tas­tique, la chasse et les ren­contres, il raconte en tout cas une vraie his­toire, où plu­sieurs pistes sépa­rées convergent pour fusion­ner peu à peu. Il prend le temps de pré­sen­ter ses per­son­nages et de les lais­ser évo­luer au fil des lieux, des années et des évé­ne­ments. On trouve natu­rel­le­ment de nom­breuses réfé­rences à Shining, mais aus­si à des pas­sages de L’enfant lumière que Stan avait tota­le­ment éli­mi­nés, et le syn­cré­tisme final est éton­nam­ment cohé­rent. Bref, sur le plan nar­ra­tif, c’est bien mieux.

Tiens, si on racon­tait une his­toire cette fois ? Avec des per­son­nages fémi­nins, pour chan­ger ? — pho­to Warner Bros

Sur le plan tech­nique, les hom­mages à Kubrick sont évi­dem­ment nom­breux, mais Flanagan prend soin de les reprendre à sa sauce. Par exemple, il joue lui aus­si avec la symé­trie, mais par­fois en décen­trant juste ce qu’il faut pour la bri­ser. Le laby­rinthe change radi­ca­le­ment de rôle, les plans trop longs sont sub­ti­le­ment rac­cour­cis, les tra­vel­lings existent juste assez pour ne pas enva­hir le film… Le résul­tat est res­pec­tueux, mais aus­si ori­gi­nal, mieux ryth­mé, mieux mené, avec une ambiance qui se construit et tient jus­qu’au grand finale. La direc­tion d’ac­teurs prend l’exact oppo­sé de la kubri­ckienne, McGregor étant aus­si inté­rieu­re­ment rete­nu que Nicholson était exu­bé­ram­ment délirant.

Je devrais peut-être reprendre l’al­cool, en fait… — pho­to Warner Bros

Le bilan peut donc se résu­mer ain­si : d’une, Doctor Sleep est éton­nam­ment meilleur que Shining, grâce à une vraie ambiance et une vraie his­toire. De deux, c’est un petit thril­ler fan­tas­tique effi­cace, qui fait un peu dans le social en pas­sant, en par­lant de fin de vie, de petits bou­lots et d’al­coo­lisme par exemple. De trois, il réunit effi­ca­ce­ment les irré­con­ci­liables uni­vers de King et de Kubrick, tout en ajou­tant sa propre touche. Et il n’est sans doute pas néces­saire d’a­voir vu le pre­mier, ni d’a­voir lu l’un ou l’autre roman, pour en pro­fi­ter au mieux, les réfé­rences étant là pour les fans, comme une lec­ture sup­plé­men­taire tota­le­ment optionnelle.