La vie scolaire

de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, 2019, ****

Faut être hon­nête : y’a des gens, dans la vie, ils mentent.

Je parle pas de Farid, ce gosse qui arrive en retard au moins une fois par semaine, parce qu’il a dû empê­cher une anti­lope d’a­gres­ser une pas­sante ou à cause de la grève à Air France parce qu’en fait j’é­tais à Marseille c’est parce que ma tante elle est malade et j’vous jure c’est la véri­té m’dame.

Un retard à jus­ti­fier ? Demandez à Farid, jamais à court de bonnes rai­sons. — cap­ture de bande-annonce Gaumont

Je parle de Grand Corps Malade et Mehdi Idir.

Ça fait un mois qu’à chaque séance d’une comé­die quel­conque, j’ai droit en ouver­ture à deux ou trois bandes-annonces pour leur der­nier film, La vie sco­laire. Il y a celle où les pions font des paris sur le dos des élèves retar­da­taires, celle où le prof de sport explique qu’un gamin avec un nez cas­sé fran­che­ment ça va il est pas mort, celle où le petit con imite le prof de maths pour gagner une heure de cou­loir, celle où toute l’é­quipe péda­go­gique se retient d’é­cla­ter de rire quand le prof de fran­çais raconte la der­nière moque­rie d’un cancre…

Bon, il y a bien un pas­sage de cer­taines bandes-annonces où on a vite fait un échange un peu gui­mau­vi­neux avec une CPE qui parle du poten­tiel d’un caille­ra qui traîne dans son bureau, mais ça a plu­tôt l’air d’être là comme un ali­bi, pour dire « ouais, on se contente pas de faire du comique, tu vois ». Quand on prend l’en­semble des bandes-annonces et les films avant les­quels elles sont pro­gram­mées, ça a sur­tout l’air d’être une petite comé­die bour­rée de vannes bien écrites et ser­vies du tac au tac.

Le prof : Vous étiez ingé­rables l’an pas­sé. On remet les comp­teurs à zéro, mais pour ça il y a quelques règles à res­pec­ter…
Le cancre : « Il y a quelques règles à res-pec-ter !« 
pho­to Laetitia Montalembert pour Gaumont

Alors bon, c’est peut-être juste un film à sketches avec de la vanne qui fuse en rase-mottes, mais mois, je me dis que ça a l’air fun, que ça peut faire pas­ser un bon moment, dans un bon fau­teuil, à regar­der de bons acteurs s’en­voyer de bonnes répliques.

Et puis, mine de rien, j’ai été pion pen­dant quatre ans et même si à l’é­poque, je savais tout juste que la Seine-Saint-Denis était un dépar­te­ment de chez les sau­vages du nord, j’é­tais un peu curieux de décou­vrir une vision de mon ancien environnement.

Donc, j’ar­rive au ciné­ma, je salue mes ouvreuses favo­rites (celles qui sont là toute l’an­née, pas juste en août, et qui ont fini par remar­quer ce bon­homme qui vient tous les jeu­dis à 13 h 30 voir le seul film en VO de la semaine), j’a­chète mon billet, je des­cends tout au fond du ciné­ma, je trouve une place bien pla­cée dans l’axe de l’é­cran, je m’ins­talle, le film démarre, la petite nou­velle CPE se pré­sente à la réunion de ren­trée et un prof lui dit de fuir tant qu’elle peut encore, ça blague gen­ti­ment, les dia­logues sont bons, les acteurs aussi…

Moi, j’a­dore les inter­ven­tions dans la classe des SEGPA. Les débiles, c’est les élèves les plus mar­rants. — pho­to Laetitia Montalembert pour Gaumont

Mais déjà, c’est pas juste des sketches rigolos.

Dès les cinq pre­mières minutes, le film sonne juste. Même si les pions sont un peu vieux (mais peut-être que dans le neuf-trois, on évite d’en­voyer des étu­diants au casse-pipes), il y a une foule de petits détails bien vus. Pas seule­ment le prof de musique azi­mu­té qui ignore le dawa dans sa salle1, mais aus­si des trucs très sérieux du vrai quo­ti­dien d’une vraie vie scolaire.

Tiens, je vous mets juste celui-là : le pion qui demande aux punis de copier des lignes à la con, et le rap­pel des ins­truc­tions offi­cielles de faire des « puni­tions édu­ca­tives ». Oui, ça m’a rap­pe­lé des sou­ve­nirs. Parce qu’en vrai, on n’a pas tou­jours le temps d’i­ma­gi­ner un énon­cé édu­ca­tif en rap­port avec l’in­frac­tion, et puis on constate que filer des exer­cices ou un truc à lire en « puni­tion » est tota­le­ment idiot si on veut convaincre les élèves que non, les cours, c’est pas nul, et sur­tout l’ex­pé­rience montre que les « puni­tions édu­ca­tives » sont trai­tées par les punis avec tout le res­pect qu’elles méritent : faites par-des­sus la jambe avec le niveau de réflexion d’une huître qui aurait gran­di dans un aqua­rium devant Cnews. Du coup, oui, par­fois, les puni­tions ont plus pour but de faire mar­rer les pions que d’ap­por­ter un savoir sup­plé­men­taire à l’é­lève — et si un ensei­gnant vous dit le contraire, deman­dez-lui si par hasard il aurait pas sau­vé un gosse d’une attaque d’an­ti­lope en venant2.

L’élève qui chouigne que c’est la faute des autres avec des expli­ca­tions inter­mi­nables et incom­pré­hen­sibles : garan­ti 100 % vraie vie. — cap­ture de bande-annone Gaumont

La forme aus­si dépasse la simple comé­die potache. Il y a des pas­sages vrai­ment tra­vaillés, comme les levers des uns et des autres, le plan-séquence d’ar­ri­vée au col­lège ou la soi­rée en paral­lèle. Les met­teurs en scène ne se sont pas conten­tés de fil­mer confor­ta­ble­ment des échanges enle­vés : ils ont par­fois fait preuve d’une vraie ingé­nio­si­té et d’une sub­ti­li­té cer­taine afin de créer des échos ou des oppo­si­tions entre les ensei­gnants et leurs élèves.

Vous l’au­rez com­pris, ça n’est pas qu’un film à vannes. Donc, disais-je, Grand Corps Malade et Mehdi Idir sont un peu men­teurs, parce que les bandes-annonces font pas­ser pour de la paro­die un truc net­te­ment plus réaliste.

Mais ce n’est pas tout. Parce qu’il y a aus­si Yanis. Et que Yanis apporte un truc en plus : un vrai scé­na­rio. Avec un début, un déve­lop­pe­ment, une fin.

Du coup, La vie sco­laire n’est abso­lu­ment pas un film à sketches. C’est plu­tôt une vraie comé­die dra­ma­tique, qui évo­lue de scène en scène, avec des per­son­nages qui évi­dem­ment potachent et rigolent, mais qui sur­tout évo­luent et échangent. Leurs rela­tions s’a­mé­liorent et s’en­ve­niment, leur quo­ti­dien devient plus clair ou plus sor­dide, les blo­cages sautent ou s’ac­cu­mulent… Et cer­tains échanges se désarment ou explosent, comme ça, hop, sans pré­ve­nir. Et, comme dans la vraie vie, il est par­fois dif­fi­cile de savoir si l’é­vé­ne­ment qui vient de se pro­duire est un coup du sort ou un coup de bol.

Bon, si on le vire, aucun col­lège le reprend, donc il lui reste que videur ou dea­ler… Mais si on le garde, c’est un pro­blème aus­si… — cap­ture de bande-annonce Gaumont

Grand Corps Malade et Mehdi Idir sont des men­teurs, parce qu’ils m’a­vaient fait pen­ser que je pas­se­rais un moment OKLM à me repo­ser le cer­veau, et qu’ils ont pro­fi­té de ma naï­ve­té pour me pré­sen­ter des gens (dont cer­tains qui me res­semblent un peu et d’autres qui res­semblent sacré­ment à d’an­ciens cama­rades) et me racon­ter leur his­toire. Pour me faire rire évi­dem­ment, mais aus­si me faire réflé­chir et m’é­mou­voir un peu par moments.

Alors, je sais pas si Grand Corps Malade et Mehdi Idir ont sau­vé une fillette atta­quée par une gazelle dans une rue de Bobigny ce matin. Mais je crois que ça vaut le coup d’é­cou­ter leurs salades : il pour­rait bien y avoir pas mal de véri­té plan­quée derrière.

  1. Spéciale dédi­cace à celui d’un bahut où j’é­tais pion, qui un jour n’a­vait tou­jours pas remar­qué au bout de deux minutes que j’é­tais dans sa salle pour récu­pé­rer l’ap­pel, au point que fina­le­ment c’est une élève qui a comp­té tout le monde et m’a don­né les noms des deux absents.
  2. Je pro­pose que ça devienne la nou­velle expres­sion rem­pla­çant « arrête tes mythos, mec ».