Terre de marées

de Stephen M. Irwin et Leigh McGrath, depuis 2018, *

Les pêcheurs, ces êtres étranges. Ils se plaignent de leur tra­vail dif­fi­cile qui ne per­met pas de gagner leur croûte, mais ils roulent en Ford Ranger der­nier modèle. Ils disent aspi­rer à une vie pai­sible en famille, mais ils passent leur temps à fri­co­ter avec les membres d’une secte, les flics cor­rom­pus et les dea­lers, et s’ins­tallent à Orphelin Bay la bien-nom­mée. Ils se marient et se repro­duisent au sol mais, sitôt fait, ils filent en mer pen­dant des jours ou des semaines et, de temps en temps, dis­pa­raissent pure­ment et sim­ple­ment parce qu’ils ont enten­du un chant fémi­nin au large.

Calliope est la fille et la sœur de pêcheurs. Elle sort de dix ans d’en­fer­me­ment après avoir déclen­ché un incen­die mor­tel. Et comme elle n’est ni plus logique, ni plus intel­li­gente que les autres, elle retourne à Orphelin Bay et réclame l’hé­ri­tage de son père pêcheur à son frère pêcheur. Ce qui, évi­dem­ment, agace un peu la secte, les flics et les dea­lers, qui finissent par la jeter à l’eau avec une chaîne de marine autour des pieds.

Rassurez-vous, c’est pas fini, il reste sept épi­sodes après ça.

Je bois la tasse. La série aus­si. — pho­to Netflix

Sur le papier, voi­là un polar fan­tas­tique, avec des pêcheurs, des dea­lers, des flics cor­rom­pus, une secte et des demi-sirènes. Non, je vous vois venir, petits coquins, une demi-sirène, c’est pas un quart pois­son et trois quarts femme, c’est les enfants que les sirènes ont eus après avoir fau­té avec les marins disparus.

Ça pour­rait donc faire une série sym­pa, hale­tante, avec des enjeux (im)moraux, une quête tra­gique, tout ça.

Mais entre le papier et la réa­li­té, il y a un petit mur.

Je suis Méchante-très-méchante. Derrière moi, Bras-droit-qui-hésite et autour, Adeptes-qui-font-tout-ce-que-je-dis. — pho­to Jasin Boland pour Netflix

Il y a d’a­bord un vrai pro­blème d’é­cri­ture, avec des per­son­nages très sté­réo­ty­pés. Ai-je dit qu’il y avait des pêcheurs, une secte, des dea­lers et des flics cor­rom­pus ? Ben pre­nez le modèle de pêcheur le plus stan­dard et basique que vous puis­siez ima­gi­ner, un homme libre qui ché­rit la mer, un peu rude, mus­clé et hâlé ; le modèle stan­dard de secte, avec une gou­rou fas­ci­nante, belle et cha­ris­ma­tique qui a une notion extrême de la puni­tion ; le modèle stan­dard de dea­ler, bal­ka­nique avec accent, cynique et violent mais qui parle bien ; deux modèles stan­dards de flic cor­rom­pu, un chef de ser­vice sans états d’âme et un jeu­not encore très por­té sur la loi et l’ordre. Ajoutez le modèle stan­dard d’hé­roïne, avec un lourd pas­sé et plein de secrets à décou­vrir, qui fourre son nez par­tout et n’é­coute per­sonne… Secouez bien, ser­vez chaud.

Ça fout un peu en l’air tout ce qu’on pour­rait espé­rer. Comment faire un thril­ler hale­tant quand tous les per­son­nages réagissent de manière par­fai­te­ment pré­vi­sible ? Comment mener une quête fan­tas­tique quand on pré­sente direc­te­ment sa conclu­sion ? Comment faire aimer ses per­son­nages quand on oublie de leur faire poser la moindre vraie ques­tion, même et sur­tout quand on parle de leurs origines ?

Alors bon, du coup, les scé­na­ristes ont fait ce que font les scé­na­ristes dans ce cas-là : ils ont reti­ré des vête­ments. Mais là où ceux de Glitch avaient fait ça en dou­ceur, avec logique, sans exhi­bi­tion arti­fi­cielle, ceux de Terre de marées se sont un peu pris les pieds dans le tapis, pas­sant de « oh tiens elle va ouvrir la porte en sou­tif ça sera joli » à « bon, ils viennent de s’en­voyer en l’air mais elle va se rha­biller de dos et elle a gar­dé sa culotte » — des ater­moie­ments ves­ti­men­taires absurdes en fonc­tion, j’i­ma­gine, du coût de la prime « nudi­té » négo­ciée par chaque actrice. (Les acteurs, eux, sont glo­ba­le­ment torse nu une scène sur deux : je pense qu’ils n’a­vaient pas pen­sé à négo­cier une prime.)

Au moins, c’est équi­table : les acteurs aus­si ont été sélec­tion­nés sur leur phy­sique. — pho­to Jasin Boland pour Netflix

Le sou­ci, c’est qu’en consé­quence, le bud­get man­quait pour faire plu­sieurs prises. Et que beau­coup d’ac­teurs ont du mal à tout faire par­fai­te­ment du pre­mier coup. La finesse du cas­ting fait donc sou­vent pen­ser à un télé­film éro­tique low cost avec, plus qu’un réel manque de talent, un manque de direc­tion, de cadrage, de contrôle. Certains peuvent être très bien sur une scène et cabo­ti­ner à la sui­vante, d’autres alternent mimique impec­cable et into­na­tion à contre-emploi, les der­niers sont médiocres d’un bout à l’autre. Elsa Pataky en par­ti­cu­lier n’a­vait plus été aus­si mau­vaise depuis Des ser­pents dans l’a­vion (enfin je crois, je dois avouer qu’à part ça je ne l’ai vue que dans des Fast and furious), ce qui est quand même gênant vu qu’elle joue la méchante n°1.

Oh, et puisque j’en suis à médire du cas­ting, c’est sans doute le moment de par­ler de Calliope jeune, qu’on voit à plu­sieurs reprises dans des flash-back. L’actrice choi­sie à cet effet a les yeux bleus, et c’est à peu près son seul point com­mun avec l’ac­trice prin­ci­pale. Ado, Calliope est donc fine, avec une mâchoire étroite au men­ton simple, une ligne de sour­cils plate, un nez droit et deux taches de rous­seur carac­té­ris­tiques, de part et d’autre du larynx. Adulte, elle est char­pen­tée, avec une mâchoire large au men­ton légè­re­ment dédou­blé, une ligne de sour­cils arron­die, un nez creux et deux taches de rous­seur carac­té­ris­tiques, sous la lèvre et sur le men­ton. Prenez Jake Gyllenhaal pour jouer un Clint Eastwood jeune, ça sera plus crédible.

Bref, le seul bon point du cas­ting, c’est que Charlotte Best a l’air à l’aise avec un canot hors-bord : elle le mani­pule sans hési­ter avec un cer­tain natu­rel — ça change de ces films de marins où les acteurs ont l’air de n’a­voir jamais vu un bateau.

À ce stade, vous serez pas sur­pris que la réa­li­sa­tion soit aus­si plan-plan que le reste et que le résul­tat soit pas ter­rible. Mais pas mau­vais au point d’être drôle, non, juste pas ter­rible. C’est du niveau de ce qui pas­sait sur France 2 le mer­cre­di après-midi quand j’a­vais qua­torze ans, en fait.

Le pro­blème, c’est que Giga n’existe plus, que je n’ai plus qua­torze ans, et que même les séries pour ados ont un peu évo­lué ces vingt der­nières années.