Spider-Man : into the Spider-verse

de Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman, 2018, ****

Vous connais­sez l’his­toire : Peter se fait mordre par une arai­gnée radio­ac­tive, il devient capable de mar­cher au pla­fond, d’en­tendre un mur­mure à l’autre bout de la ville et de pas­ser d’un immeuble à l’autre en jetant des toiles, et ça tombe bien parce que New York est pleine de super-méchants et qu’il faut pro­té­ger les gens ordi­naires comme les Morales, voilà.

Déjà que je suis le seul pauvre de mon col­lège de bourges, faut que mon flic de père m’y emmène en voi­ture de patrouille… — image Sony Pictures

Sauf que Miles Morales, jus­te­ment, il lui arrive la même chose. Pis : il tombe sur l’es­sai d’un accé­lé­ra­teur de par­ti­cules conçu pour accé­der à des uni­vers paral­lèles, déve­lop­pé par le vilain Wilson Fisk pour récu­pé­rer des ver­sions alter­na­tives de sa femme et son fils décé­dés. Oui, Wilson Fisk déteste tel­le­ment tout le monde qu’il est prêt à voler la famille de son lui-même d’un autre uni­vers. Il est très très méchant.

Mais lors de l’es­sai, l’ac­cé­lé­ra­teur a eu un effet impré­vu : il a aspi­ré chez nous les Spider-people de cinq autres uni­vers. Voilà donc une demi-dou­zaine de Spider-people déci­dés à contre­car­rer les plans de Fisk et à trou­ver le moyen de ren­trer chez eux.

La trame en elle-même n’a rien d’ex­cep­tion­nel : c’est la quête ini­tia­tique d’un ado­les­cent invi­sible comme il en existe des mil­liers entre Brooklyn et Manhattan, qui se trouve une bande et va lat­ter du méchant. Tout au plus note­ra-t-on le bon équi­libre entre l’hu­mour potache et l’ac­tion, qui fait heu­reu­se­ment par­tie des fon­da­men­taux de Spider-man si on oublie les errances de Webb.

Notre super-ouïe nous per­met d’en­tendre les moindres vibra­tions… — image Sony Pictures

C’est plus sur la forme que compte le film pour se démar­quer. Il mélange allè­gre­ment les recettes de la BD et celles du ciné­ma, inté­grant des cases avec des grosses ono­ma­to­pées écrites, des didas­ca­lies et des phy­lac­tères, des traits de mou­ve­ment et des ondu­la­tions sen­so­rielles. Il mixe éga­le­ment images en 3D et ani­ma­tion tra­di­tion­nelle ; celle-ci recourt à un des­sin inha­bi­tuel à l’é­cran, se rap­pro­chant fou­tre­ment de l’es­thé­tique « comics », sans flou ciné­tique et variant en style d’un per­son­nage à l’autre — le plus réus­si étant sans doute le Spider-man éva­dé des années 30, en noir et blanc à larges aplats et trame gros­sière, qui s’ex­prime comme un pri­vé de film noir un peu intel­lo et a du mal à com­prendre un Rubik’s cube.

Vous dites ? De la… cou­leur ? Quel est ce mys­té­rieux concept ? — image Sony Pictures

Ceci étant… et bien, c’est à peu près tout. Bien sûr, le mes­sage sur la frac­ture sociale entre les deux rives de l’East River, sur le machisme et le « blan­chisme » des comics tra­di­tion­nels, sur la néces­saire inté­gra­tion de super-héroïnes et de super-héros plus variés et plus ordi­naires, tout cela est sym­pa, mais pas très ori­gi­nal au fond, pas plus que l’é­vo­lu­tion du gamin pauvre iso­lé chez les bourges mais qui fini­ra par trou­ver une place. Et une fois digé­ré le style gra­phique très ori­gi­nal, il faut admettre que les scènes d’ac­tion sont peu lisibles et que si l’en­semble fonc­tionne très bien, il n’est pas non plus bouleversant.

Ajoutons tout de même un truc : la tra­duc­tion est, je pèse mes mots, à chier. Évidemment, il y a le titre : quel est l’a­bru­ti qui a déci­dé que « Spider-man : new gene­ra­tion » ferait un bon titre fran­çais, alors que le titre ori­gi­nal Spider-man : into the Spider-verse est tout aus­si fran­çais1 et a l’a­van­tage d’être relié à l’his­toire du film ?

Mais sur­tout, dans la « VO » fran­çaise, il y a des pan­neaux et des phy­lac­tères tra­duits, d’autres non. Certains pas­sages en espa­gnol sont sous-titrés, la plu­part non (et pas parce qu’ils sont cen­sés être incom­pré­hen­sibles : Miles parle espa­gnol ou anglais selon avec qui il cause, c’est la vie quo­ti­dienne d’é­nor­mé­ment d’Américains). Le comble : au moins une didas­ca­lie est à la fois tra­duite dans l’i­mage ET sous-titrée !

おはよう!!!私は、ペニ.パーカーです。全訳はじゃありません、でも私に平常なです! — Sony Picturesの絵

Messieurs-dames de Sony Pictures France, un petit mot : les gens qui vont voir les films en VO sont en géné­ral soit des anglo­phones, soit des fran­co­phones qui veulent amé­lio­rer leur anglais. Dans le pre­mier cas, ils regardent l’é­cran et ignorent les sous-titres ; dans le second, ils comptent sur ceux-ci pour com­prendre celui-là. Foutre du fran­çais dans le cadre est donc une conne­rie pour les pre­miers, ne pas sous-titrer cer­tains pas­sages est éga­le­ment une conne­rie pour les seconds. Mais le pire du pire est de faire tout ça à moi­tié, d’o­bli­ger tout le monde à bas­cu­ler d’une langue à l’autre au gré des trucs tra­duits dans le cadre, des trucs tra­duits en-des­sous, des trucs pas tra­duits, etc.

En somme, une VO sous-titrée est, comme son nom l’in­dique, le film ori­gi­nal avec des sous-titres. Une VF est, comme son nom l’in­dique, une ver­sion fran­çaise, où il est logique d’a­dap­ter les textes de l’i­mage lorsque c’est pos­sible. Vous faites soit l’une, soit l’autre, mais vous ne mélan­gez pas les deux en vous arrê­tant au milieu du gué, mer­ci. En résu­mé : faites. votre. putain. de. boulot.

Je parle par­fois espa­gnol. Normal : ma mère est por­to-ricaine. Ça n’en fait pas un dia­logue cryp­tique qui mérite d’être pas­sé sous silence en fran­çais. — image Sony Pictures

Bon, bref. Spider-man : into the Spider-verse est gra­phi­que­ment ori­gi­nal et par­fai­te­ment maî­tri­sé ; c’est sa très grande force. Pour le reste, c’est un film sym­pa­thique et de bonne volon­té, qui tourne par­fai­te­ment sur un ton moderne mais souffre d’une poi­gnée de lon­gueurs et, quelque part, se contente de faire pas­ser un bon moment.

Vous me direz, par rap­port aux der­niers films d’ac­tion que j’ai vus, c’est déjà bien !

  1. ie. pas du tout