Robin des bois

grand nawak d’Otto Bathurst, 2018

Robin est un Marine (ou un SEAL, c’est pas clair, en tout cas un gros balèze plein d’armes, quoi) en mis­sion dans un pays du Moyen-Orient. Avec ses cama­rades, il tente de paci­fier des villes en pas­sant dans des ruelles étroites où des com­bat­tants enne­mis plan­qués par­mi les civils les attaquent en traître. Parfois, il faut tra­ver­ser une rue, ce qui est tou­jours super ris­qué parce que les sni­pers guettent ; mais Robin, qui est vache­ment fort, arrive à se glis­ser jusque dans les immeubles et à dégom­mer les sni­pers. Parfois, c’est car­ré­ment au lance-roquettes que son déta­che­ment se fait atta­quer, avec de grosses pertes à la clef. Il arrive donc que le bataillon se passe les nerfs sur les autoch­tones en butant tout le monde, mais Robin est tou­jours là pour s’in­ter­po­ser et pro­té­ger les inno­cents, ce qui lui vaut le res­pect d’un chef ennemi.

Faut dire que Robin a tou­jours été bon et gen­til et géné­reux : riche héri­tier d’un ranch, il a même filé une de ses Mustang à une pau­vrette qu’il avait cho­pée en train d’es­sayer de voler une bagnole dans son garage. Ouais, il est comme ça, Robin. (Et après, c’é­tait deve­nu sa meuf, parce qu’un bien­fait apporte tou­jours une récompense.)

Ah ouais, cool l’am­biance au retour, je suis content d’être ren­tré. — pho­to Lionsgate

Quelque temps a pas­sé. Robin revient dans son Arkansas natal, où le shé­rif impose un effort de guerre exa­gé­ré aux pauvres péque­nots de l’État. Il retrouve son ranch en ruines, sa meuf fian­cée, alors, avec l’aide de son ancien enne­mi qui l’a accom­pa­gné jus­qu’i­ci, il décide de redres­ser les torts en mon­tant un casse dans le Fort Knox local. La suite sera une série de courses-pour­suites en moto et en bagnole, avec des bas­tons cho­ré­gra­phiées comme un bal­let et un vague ali­bi poli­tique sur le détour­ne­ment de fonds public et l’a­bus de bien social — d’au­tant plus inad­mis­sibles que les gens souffrent déjà d’im­pôts excessifs.

Voilà, en gros, le sujet de ce Robin des bois trans­crit dans la socié­té moderne. Jusque là, ça a l’air d’un film d’ac­tion un peu bour­rin à la trame exa­gé­ré­ment clas­sique, mais ça pour­rait être distrayant.

Putain, qui a rem­pla­cé mon M16 par un putain d’arc long ? — pho­to Larry Horricks pour Lionsgate

Le pro­blème, le vrai, c’est qu’a­près avoir écrit ce script « Robin des bois de nos jours », Ben Chandler et David James Kelly (dont c’est le pre­mier film et, poten­tiel­le­ment, le der­nier) ont curieu­se­ment déci­dé de le repla­cer dans un envi­ron­ne­ment moyen­âgeux. Ils ont donc rem­pla­cé les Hummer par des des­triers, les motos par des anglo-arabes, les M16 par des arcs, les lance-roquettes par des arba­lètes qui envoient vingt car­reaux d’un coup, les Chevrolet Express par des car­rioles, le ranch par un châ­teau, et les Gilets Jaunes par des pay­sans en capuche.

On se retrouve donc avec un machin com­plè­te­ment hybride : tout, dans l’his­toire comme dans la mise en scène, indique un contexte actuel et amé­ri­cain, avec par­fois des arti­fices extrê­me­ment capil­lo­trac­tés pour inven­ter un équi­valent médié­val au truc que le scé­na­riste avait en tête. Par exemple, l’ar­ba­lète à répé­ti­tion qui rem­place le Barrett M82, je m’en suis tou­jours pas remis. Mais le cadre du film est un Moyen-Âge anglais che­lou, avec des élé­ments pio­chés au hasard entre le 9è et le 16è siècles. Du coup, Kaamelott est his­to­ri­que­ment mieux défi­ni, et je vous rap­pelle qu’on y voit une porte des étoiles et un sabre laser.

Grâce aux Croisades, vous, les Anglais, avez décou­vert l’arc à double cour­bure. — pho­to Lionsgate

Comme, en plus, ce Robin des bois est un film d’ac­tion un peu bour­rin à la trame exa­gé­ré­ment clas­sique, ça com­mence à faire beau­coup de gros nawak qui rime à rien, sans pour autant avoir une intrigue sus­cep­tible de don­ner à l’œuvre un inté­rêt quelconque.

C’est donc le film pour vous si vous n’a­vez abso­lu­ment aucune notion d’Histoire, si la poli­tique ne vous inté­resse pas, si vous ne connais­sez rien à l’ar­mée ni à la socié­té, si le mani­chéisme vous sim­pli­fie la vie et si vous aimez les per­son­nages sans queue ni tête qui évo­luent dans un envi­ron­ne­ment inco­hé­rent — mais avec un indé­fri­sable sérieux. Oh, et si vous êtes suf­fi­sam­ment sen­sible à la mâchoire virile de Taron Edgerton pour oublier que son jeu a la finesse d’un Thierry Roland com­men­tant un match de foot fémi­nin coréen.

Mais si vous aimez le ciné­ma, l’Histoire, les bons acteurs, les bonnes his­toires, les per­son­nages bien construits, ou juste si vous n’ai­mez pas être pris pour un abru­ti, il ne reste qu’une conclu­sion pos­sible : fuyez, pauvres fous.